Rio Das Mortes (1970)
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Dans Rio Das Mortes,
les deux amis d'enfance Michel (Michael König), carreleur,
et Günther (Günther Kaufmann), vendeur d'abonnements, se retrouvent
par hasard dans l'appartement de Hanna (Hanna Schygulla).
Après une bagarre qui réglait un différent sur l'engagement
de Günther dans la Marine dans un climat d'objection de conscience
généralisé, les deux se mettent à la recherche de moyens financiers
pour effectuer un voyage au Pérou où ils espèrent trouver
un trésor indiqué sur une vieille carte. Plus encore que sur
leur but rêvé, le film met l'accent sur les contraintes matérielles
qui retardent à plusieurs reprises leur départ. A commencer
par l'explication détaillée de la facture des travaux de carrelage
chez une dame riche. Face à l'étonnement de la cliente (le
maître touche beaucoup plus d'argent que l'ouvrier qualifié,
alors qu'il n'est guère présent), celui-ci rétorque que le
calcul se fait ainsi et que cela a toujours été fait de la
sorte. Sont explicités alors les rapports figés entre les
dirigeants et leurs subordonnés et l'adhésion à la pérennité
des formules éprouvées, toujours à l'avantage des riches,
cela va de soi. Au début de la même séquence, la dame monte,
peu vêtue dans la salle de bains en travaux, et chante une
chanson américaine aux deux ouvriers : une façon pour Fassbinder
de véhiculer simultanément le mythe de la fascination viscérale
des gens aisés pour les travailleurs et celui de l'Allemagne
de l’Ouest, en occurrence, pour tout ce qui a trait à l'anglais
et, plus encore, à l'Amérique.
Même après avoir entrepris les mesures d'économie les plus
drastiques, Michel et Günther sont encore loin du compte et
ont par la suite recours à toutes sortes de procédés pour
gagner quelques Marks supplémentaires. Cela va de la visite
chez la mère de Günther, qui sacrifie l'argent mis de côté
pour un éventuel mariage de son fils (une figure que l'on
retrouvera légèrement modifiée dans Le Rôti de Satan (1976)
lorsque les parents de Walter lui donnent leurs économies
destinées à leurs funérailles pour payer la réparation d'une
limousine hypothétique), à travers l'alliance avec un étudiant
qui compte valoriser son mémoire de fin d’études par un voyage
d'exploration, jusqu'à l'entretien avec l'oncle de Hanna,
un entrepreneur en Amérique du Sud, qui dévoile le caractère
factice de leurs ambitions économiques et préfère porter toute
son attention au charme de sa nièce Que les deux réussissent
à la fin à réaliser leur projet est dû à un coup de baguette
magique digne des meilleurs contes de fées et aussi improbable
que le dernier sursaut mélodramatique de Hanna, désormais
exclue du groupe.
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En dehors des décors très
théâtraux dans leur dépouillement - la majeure partie de l'action
se déroule dans l'appartement de Hanna ou dans la rue - ,
et d'une mise en scène attachée à souligner la force érotique
de Günther Kaufmann, grand Noir bavarois qui repoussait constamment
les avances de Fassbinder, par le biais de son pantalon qui
se déchire au cours de la bagarre et de l'autre, en phase
avec la mode contemporaine, qui serre étroitement la partie
génitale, sans insister sur le long plan pendant lequel Günther,
au lit avec Hanna, raconte ses aventures de marin, on retient
surtout un frottement du style de vie libertin propagé par
les protagonistes contre les institutions à la fois économiques
(l'oncle ou le vendeur de voitures (Ulli Lommel)) ou étatiques
(l'entretien avec le secrétaire (Walter Sedlmayr)). Enfin,
le réalisateur s'attribue, comme souvent dans ses films, un
petit rôle savoureux qui est ici celui d'un client de bar
qui danse frénétiquement avec Hanna alors que les deux amis
sont complètement absorbés dans leurs calculs. L'attachement
qu'éprouvent Michel et Günther, l'un pour l'autre, au détriment
de Hanna, n'a rien d'explicitement homosexuel, malgré le manque
d'intérêt qu'ils portent au personnage féminin dès leurs retrouvailles,
et même des sentiments refoulés auraient pu trouver une forme
d'expression adéquate chez un metteur en scène qui ne laissait
guère de doute sur ses préférences et qui les exprimait ouvertement
dans ses films. Les deux peuvent donc être considérés comme
les rares amis platoniques dans l'oeuvre de Fassbinder.
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