HUGO SANTIAGO
.......................................................................................................

BIOGRAPHIE

D’abord à Buenos Aires, la vocation littéraire ; plus tard, l’acteur et le travail avec les acteurs pour abandonner tout cela, finalement, contre la Cinémathèque, les ciné-clubs, les trois films obligatoires par jour. Enfin, une dense expérience européenne, aux côtés de Robert Bresson, va permettre à Hugo Santiago (29 ans) de définir son attitude personnelle envers son moyen d’expression : il poursuivra ses recherches, à des niveaux de communication rénovés, pour une radicalisation des concepts d’écriture et de lecture cinématographiques. Après un séjour de sept ans en Europe (cinéma en France et en Italie, théâtre à Genève), il revient à Buenos Aires, réalise deux moyen-métrages et embarque Jorge Luis Borges, Adolfo Bioy Casares et quantité d’autres amis dans l’aventure qui est devenue Invasion, son premier long métrage. Plus tard, la France...

Hugo Santiago est né à Buenos Aires le 12 décembre 1939 et vie en France depuis 1959, où il a étudié la littérature, la philosophie et la musique. De 1959 à 1966, il est assistant de Robert Bresson. Dans le même temps, il est chorégraphe et metteur en scène de Histoire du Soldat (Festival Stravinski, 1961), puis auteur et réalisateur de 2 courts métrages: Los contrabandistas (Buenos Aires, 1967), Los taitas (Buenos-Aires, 1968), avant de réaliser Invasion (Buenos-Aires, 1969) qui marquera l’histoire du cinéma argentin. En 2001, il retourne à la "fiction romanesque" et entreprend son nouveau long-métrage : Le loup de la Côte Ouest produit par Paulo Branco.

FILMOGRAPHIE

2002 Le Loup de la Côte Ouest (fiction/35mm/couleur/134 mn) scénario de Santiago Amigorena et Hugo Santiago d’après A Guilt Edged Blonde de Ross Macdonald avec James Faulkner, Anna Mouglalis, Gérard Watkins, Valérie Dréville...

2001 Maria Bethânia do Brasil (documentaire/beta numérique/couleur/90mn) avec Maria Bethânia et la participation de Chico Buarque et Caetano Veloso.

1999 Mosaïques et Beethoven (beta numérique/cou-leur/83mn) avec le Quatuor Mosaïques.

1998 Maurice Blanchot (beta numérique/couleur/57mn), é crit avec Christophe Bident et la participation de Jacques Derrida, Jean-Luc Nancy, Giorgio Agumben, Michel Surya...

1994-1995 Christophe Coin, le musicien (beta numérique/ couleur/91mn) avec l’Ensemble Baroque de Limoges, Choeur de Chambre Accentus...

1992 La Vie de Galilée (35mm/couleur/135mn), restauration cinématographique de la mise en scène d’Antoine Vitez, avec Roland Bertin et les Comédiens Français.

1991 La Fable des Continents (35mm/couleur/86 mn), opéra-film composé avec Georges Aperghis, avec Edith Scob, Catherine Dune, Kudsi Erguner...

1990 La Voix humaine de Francis Poulenc (35mm/cou-leur/59mn) d’après la mise en scène d’Alain Françon avec Dame Gwyneth Jones et l’ensemble Orchestral de Paris.

1989 Enumérations inspiré par La Cérémonie musicale de Georges Aperghis, avec François Bedel, François Dubleski, Marie-Christine Orry, Françoise Rivalland.

1988 La Geste Gibeline (35mm/couleur/114 mn), une histoire sicilienne qui contient l’Orestie, opéra de Iannis Xenakis monté par Yannis Kokkos avec le peuple de Gibelina.

1986 Electre (de Sophocle) (16mm/couleur/105 mn) version filmique de la mise en scène d’Antoine Vitez, avec Evelyne Istria, Jean-Claude Jay, Redjep Mitrovitsa, Valérie Dréville...

1985 Les Trottoirs de Saturne (Las veredas de Saturno) (35mm/n&b/145 mn) scénario de Juan-José Saer, Jorge Semprun et Hugo Santiago, avec Bérengère Bonvoisin, Rodolfo Mederos, Edgardo Lusi, Emmanuel Decharte, Philippe Clevenot, Sophie Loucachevsky et Louis-René des Forêts. Festivals de San Sébastian, Florence, Biarritz... Et 11 Condors en Argentine.

1984 Version de Labyrinthe auteur, réalisateur et interprète: Hugo Santiago

1979 Ecoute voir (35mm/couleur/117 mn) scénario de Claude Ollier et Hugo Santiago avec Catherine Deneuve et Sami Frey, Antoine Vitez, Anne Parillaud, Florence Delay... Festivals de Paris et de Londres.

1974 Les Autres (Los otros) (35mm/couleur/127 mn), scéna-rio de Jorge Luis Borges, Adolfo Bioy Casares et Hugo Santiago, avec Patrice Dally, Noëlle Châtelet, Daniel Vignat, Roger Planchon, Jean-Daniel Pollet. Le film représente la France, en compétition officielle au Festival de Cannes.

1969 Invasion (35 mm/n&b/129 mn) Cannes 69 : 1ère édition de la Quinzaine des Réalisateurs, primé à Locarno, Mannheim, Barcelone, Harvard... 22 prix internationaux. Le film a été intégré au programme d’étude de La nouvelle carrière cinémathographique de Harvard. Alain Robbe Grillet présentait le film dans ses cours à la New York University.

1968 Les Caïds (Los Taitas) (35mm/n&b/ 25 mn), avec Lito Cruz et Martin Adjemian.

1967 Les Contrebandiers (Los contrabandistas) (35mm/n&b/ 27 mn), avec Federico Luppi.

 


EXTRAITS D’UN ENTRETIEN AVEC HUGO SANTIAGO
.......................................................................................................

Invasion (c) D.R.

Le cinéma est pour moi un système de connaissance et, comme tel, une discipline de la poésie. Quand je dis qu’il y a un rapport très grand avec la musique, je dois probablement vouloir dire que la musique est aussi une discipline de la poésie (et bien sûr, que la poésie est une discipline de la musique...).

Je ne tiens pas à "mettre en scène". Je traite des thèmes, que j’essaie de connaître en manipulant des images et des sons.

Je crois qu’un film est une possibilité de se laisser habiter par d’autres -et une des seules. Les murs entre les gens sont plutôt solides mais il y a des failles, dont celles que provoquent les disciplines artistiques. Je ne crois pas que le cinéma voire l’art en général puisse changer le monde mais, en revanche, le vrai cinéma comme discipline de la poésie et toutes les disciplines de la poésie ont à voir avec la conscience. Je crois que là se trouve ce que les disciplines artistiques peuvent faire pour nous tous, et je n’y fais pas de différence entre le créateur et le spectateur ou le lecteur ; Borges a dit de façon mémorable dans un de ses premiers livres qu’il est du pur hasard que ce soit lui le poète et vous le lecteur.

Ma formation "fantastique", je ne sais pas à quand ça remonte, j’ai toujours pensé ainsi, c’est d’ailleurs très argentin, ça a à voir avec l’expression argentine depuis toujours. Il y a un certain fantastique qui est inhérent aux argentins, à certains créateurs de Buenos Aires plus particulièrement.

Je voyais une ville, une ville assez géométrique encerclée par des envahisseurs un peu mystérieux, et puis un petit groupe de gens qui devaient la meubler d’éléments fictionnels. À ce moment-là, il m’était apparu comme évident que si j’écrivais ce scénario tout seul, j’allais m’engager dans des chemins que Bioy et surtout Borges avaient parcouru bien avant moi, chemins où par ailleurs Borges est le maître incontesté. Je m’étais dit tout simplement, avec l’insolence presque grossière (et le culot) de mes 27 ans eh oui perdus, qu’il serait plus logique d’écrire ce scénario avec eux. Je suis allé voir Bioy d’abord (qui a l’âge de mon père et qui est mon frère) pour lui demander son avis. L’idée du film lui a vraiment plu, et il m’a dit qu’il fallait en parler à Borges. Il lui en a parlé lui-même d’abord. (Quand Bioy est à Buenos-Aires, ils se voient pratiquement tous les soirs. Borges va dîner chez Bioy, c’est le moment où ils travaillent ensemble.)

Ensuite je suis allé voir Borges à la Bibliothèque Nationale, (je le connaissais, j’avais été son élève à la Fac de Philo, j’avais 16 ans alors, je lui avais dédicacé un livre des poèmes qu’il avait voulu faire publier, heureusement j’avais pu éviter au dernier moment le désastre...)

Et ce soir même, après avoir supporté deux heures de mes discours brouillons, très simplement Borges a accepté de travailler sur le film le temps qu’il faudrait.

Tous deux, ils ont été d’une générosité très grande car ils ont travaillé comme des scénaristes, comme mes scénaristes –malgré les déceptions qu’ils avaient eues avec les deux scénarios qu’ils avaient écrits et publiés quelques années auparavant (pas encore réalisés).

Nous avons beaucoup discuté, puis Borges et Bioy Casares ont travaillé seuls, puis nous avons travaillé tous les trois avant d’arriver à une espèce de première continuité. Après cela, Bioy a dû partir en Europe et j’ai travaillé seul avec Borges pendant un an : une vraie "adaptation cinématogra-phique" de notre propre scénario. À la fin je racontais à Borges même mon découpage –je vous jure que les dia-logues définitifs ont été établis sur le découpage "prêt à tourner"...

Nous désirions un film qui puisse susciter la lecture d’un film d’aventures fantastiques : la ville imaginaire qui subit une terrible invasion parfaitement secrète. On a cherché le nom d’Aquiléa qui est en fait Buenos Aires, mon Buenos-Aires mythique (Aquiléa fut une ville romaine envahie par les Barbares, mais en réalité cela comptait peu, c’est la beauté du nom qui nous a plu). C’est vrai que nous pensions à une matière un peu multiple, mais on ne pensait pas beaucoup aux différentes lectures, on pensait surtout à travailler une matière narrative cohérente.

Il faut en cela rendre hommage à Borges : dans le travail, son seul orgueil est celui de l’œuvre achevée, avec un souci absolu de perfection. Et il exige que quand il a une idée nouvelle, on la lui critique et on le critique, comme pour "l’éprouver". Il s’agit vraiment d’un travail en commun.

C’est vrai, je l’admets, je ne vais pas faire l’idiot : il est évident que la matière du film se voulait "polysémique". Dans ce travail postérieur, nous nous sommes attachés à rendre cohérents les différents niveaux du film. Je savais bien qu’il fallait que les personnages soient issus de certaines classes, que ce film ne pouvait pas éviter d’être aussi un film sur Buenos Aires, sur différentes couches sociales de Buenos-Aires. Donc j’essayais de fouiller minutieusement la nature de ces personnages qui ne sont pas du tout psychologiques (ils sont plutôt des "comportements", des comportements en face de la mort), et il fallait donc les placer dans des contextes précis ; quelques-uns sont des petits notables, des gens très particuliers, d’autres d’extraction bien plus marginale... L’insertion socio-économique des personnages devait être très cohérente.

À la sortie, une troisième lecture a été faite d’ordre plus directement politique, et encore une autre, d’avantage "politique de conjoncture", qui prévoit les années terribles que nous sommes en train de vivre en Amérique Latine.

Et puis il y a cinq, dix lectures, et puis il y a une lecture spécifiquement cinématographique qui est celle que j’entends privilégier car elle contient en fait toutes les autres.


Entretien réalisé en 1974 puis publié en 1975 dans Borges et le cinéma
par Jacques Baudou, Alain Calame, Paul Gayot - Maison de la Culture André Malraux - Reims