POINT DE VUE
Dans un futur proche, les hommes portent des masques, pour ne pas mourir, pour ne pas transmettre le virus qu’ils portent aux êtres encore sains. Leur nez et leur bouche sont enfermés, cachés, interdits au regard et au toucher. La parole est étouffée, la personnalité confinée, l’échange condamné. Seul un bec semblable à celui des oiseaux-mouches permet de butiner ce qui se trouve à l’entour. Ironie du sort, ce bec est parfaitement adapté à l’introduction d’une cigarette, permettant à la fumée de pénétrer sous le masque et dans les poumons de ceux qui ont presque interdiction de respirer.
2003 fut l’année de l’épidémie de pneumopathie atypique, et Wi-Ding Ho se souvient de la peur de l’autre qui hantait alors les rues de Taiwan. La moindre quinte de toux provoquait la panique, les masques mangeaient les visages, communiquer était devenu presque impossible, se toucher insensé.
Respire, c’est la mise en images de la prise de conscience des corps, du souffle enfermé. Wi-Ding Ho dit en souriant que respirer c’est comme avoir un téléphone portable aujourd’hui, il permet de communiquer à tout moment, greffé à nos oreilles modernes. Le supprimer serait presque nous tuer, nous couper du monde, et nous prendrions conscience de son utilité. Respire matérialise un acte profondément naturel et imperceptible. Le souffle se fait entendre, il est lourd. Pourtant, les deux amoureux qui ne peuvent pas sentir le souffle de l’autre, appuyant leurs masques l’un contre l’autre, faisant se frotter le tissu blanc, s’embrassent. Le préservatif semble alors être peu de choses lorsque les corps nus n’ont plus vraiment de visage.