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  Un jour sans fin (c) D.R.
Territoire marqué de balises saillantes, de rencontres impromptues en rendez-vous quotidiens, la ville devient ici lieu des possibles, les dangers apparents devenant pures déviances ludiques. La ville permet la promenade du corps en liberté. Un rapport de force s'estompe : la ville se referme sur lui, l'emprisonne, mais lui s'ouvre à elle, dans une sage démesure et un sadisme assumé. Désormais, il subit moins l'emprise mécanique du temps qu'il l'accepte et en joue, tout en sarcasmes et en parfaite autarcie. Le troisième jour, il boit, arpente la ville en voiture, roule sur la voie ferrée, choisit " sa loi comme Robin des Bois " et atterrit finalement en prison. Sans aucune conséquence, ses faits et actes le ramènent dans son lit, le réveil sonnant toujours à six heures le lendemain matin. Le quatrième jour, il embrasse l'hôtelière, reporte au lendemain sa charité à un sans-domicile et se gargarise de gâteaux. " En faisant fi de toute prudence ", il se libère ainsi des rituels quotidiens qui dénaturent sa personne. Le rapport de force avec la ville s'est donc inversé.

Chaque matin, Connors présente en direct à la télévision, la prophétie de la marmotte oracle. Chaque matin, il se retrouve aigri, esseulé dans la foule. " C'est lamentable. Voilà mille péquenots qui se caillent les miches pour vénérer une saloperie de rat ". Un Phil en cache un autre, Phil la marmotte, mythe et mascotte officiels du jour sans fin. Tous deux prédisent le temps mais l'animal, " devin parmi les devins, météorologue des météorologues " le condamne chaque matin, encore et toujours. " Ce sera un hiver long. Vous en aurez pour toute votre vie " ; et comme pour mettre fin à ce mauvais cauchemar, Phil Connors décide d'enlever Phil l'animal.

Un jour sans fin (c) D.R.

Or, le cynisme puis la dépression (il ne sort plus de son lit, se met à détruire à plusieurs reprises le réveil maudit) ont laissé place à l'envie de suicide. Il se jette d'une falaise en voiture avec la marmotte, ou d'un clocher d'église, s'électrocute dans son bain ou se fait écraser par un camion. Phil se suicide quatre fois, quatre fois il survit, se réveillant le matin " sans une égratignure " : " je suis un Dieu " conclut-il, blasé, " je suis immortel ".

Après quatre morts successives, Connors opte alors pour une voie bénéfique : dans un premier temps, il s'accorde plusieurs vies. Il devient un corps burlesque à multifonctions : réparateur occasionnel (changer les pneus crevés d'une voiture, remplie de vieilles dames) ou sauveteur provisoire et quotidien (un homme s'étouffe au restaurant) aux rendez-vous obligés (chaque jour, sauver un garçon tombant dun arbre). La journée-type comprend deux ou trois sauvetages : d'indifférent ou avili, Connors devient altruiste, tel un véritable bienfaiteur indispensable aux autres. En se penchant sur le dernier jour dun vieillard qui doit trouver la mort en ce 2 février, le film et lui s'échappent un instant de l'emprise du temps mécanique et de sa toute puissance En offrant à manger au vieillard, Connors tente de le sauver de la mort. Ce qui touche ici est autant son acte solidaire que la survie impossible du vieil homme.

La rencontre avec celui-ci, l'épanchement de l'habituel blasé sur ce corps anonyme suspendent le défilement ludique des jours que s'est façonné Connors Il s'agit d'anticiper la mort de l'autre, non plus en le sauvant, mais en le maintenant en vie le plus longtemps possible. A nouveau, le burlesque teinté d'amertume d'Un jour sans fin surprend, car il tend à une légère parabole sur le destin ; et dans l'attention portée à l'autre, à une ouverture au monde potentielle du héros mélancolique. Connors sacrifie sa (sur)vie au profit de celles des autres. Son désenchantement laisse place à une sérénité provisoire, mais le destin du vieillard le renvoie à une autre impuissance, la solidarité inutile face à une mort en marche prédestinée.

  Un jour sans fin (c) D.R.

Ainsi Connors ne se sert-il pas uniquement de rencontres quotidiennes pour créer un cycle idéal à ses dépens, au contraire ce dernier délivre ici un message socialiste, très proche de certains films de Frank Capra. Cette aide aux démunis, cet élan de solidarité esquissent une utopie socialiste, un champ des possibles politique d'où émerge et chemine, au coeur d'un monde égoïste, un bienfaiteur. Une vague d'optimisme s'instaure autour de lui, née d'une pluralité de rencontres qui se complètent et se répondent les unes aux autres.

Le dévouement à l'autre serait-il pour Phil l'unique exutoire au jour sans fin ? Plus que la figure du destin (le vieillard), le personnage de Rita se révèle être le moyen d'achèvement du cycle temporel. Rencontres et approches de séduction se sont substituées à la rencontre classique d'un jour : tomber amoureux requiert un apprentissage quotidien de l'autre, autre non-sens burlesque brodé et sacralisé au fil du jour sans fin. Fin novatrice : il séduit Rita et met ainsi fin à l'éternité d'un quotidien terne et mécanique.