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Au loin les lumières (c) D.R.

Pourquoi priver Gus van Sant d'une récompense loin d'être imméritée tant son film présente un contenu qui suscite la réflexion et le débat ? Et bien, simplement parce que le film d'Hans-Christian Schmid pousse le dispositif choisi par Gus van Sant dans ses limites et en tire une œuvre d'une intensité rare. Le réalisateur allemand n'a pas copié son homologue américain d'adoption : en 2003, avant qu'Elephant ne secoue la Croisette, Lichter remportait un prix à Berlin. Mais les deux films se ressemblent comme deux jumeaux conjoints. Leurs points communs sont incalculables. Ainsi, la manière de filmer est identique : une caméra mise à l'épaule qui a un peu plus la bougeotte dans Lichter que dans Elephant, mais qui dans les deux cas a tendance à plus filmer les dos que les visages.

Mais ce n'est pas dans la technique de réalisation que se situent les principales similitudes. Plutôt dans la construction du récit. Lichter comme Elephant se basent sur des histoires chorales, avec un grand nombre de personnages. Elephant se place dans un lycée et fait de plusieurs de ses élèves ses héros et héroïnes. Lichter se construit également autour d'un lieu unique, une frontière, espace aux contours certes plus flous qu'un lycée mais possédant, comme un établissement scolaire, des zones de passage inévitables. Dans Elephant, les personnages arpentent couloirs et salles de cours. Dans Lichter, les héros passent et repassent les postes de douane séparant la ville polonaise de Stubice de celle (allemande) de Francfort sur l'Oder. À chaque fois, l'impression de suivre des fantômes, des êtres bien vivants mais comme perdus à la vie, errant, entités solitaires dans un environnement déprimant au possible.

  Elephant (c) D.R.

La ressemblance la plus troublante intervient dans un même rebondissement. Aux trois quarts des deux films, le scénario bifurque des quelques individus que l'on suit depuis le départ pour suivre un nouveau protagoniste pour Elephant, un couple pour Lichter. En fin de parcours, Gus van Sant fait intervenir dans son récit un grand black au t-shirt jaune dénommé Bob. En plein massacre, le réalisateur décide d'abandonner un instant le beau gosse photographe, le blondinet cool et les deux tueurs pour insérer ce personnage un peu improbable qui va se faire trucider deux petites minutes après sa première apparition. À un quart d'heure de l'apparition du générique de fin, Hans-Christian Schmid met en place un dispositif quasi équivalent. Aux côtés du chauffeur de taxi, des immigrés ukrainiens, du vendeur de matelas et trafiquants de cigarettes qui sont ses personnages les plus éminents, il installe un couple sorti de nulle part : un jeune architecte aux dents longues et une jolie traductrice qui vend son corps pour arrondir les fins de mois. Hans-Christian Schmid et Gus Van Sant ont dû lire les mêmes livres d'apprentissage du scénario.

Fascinant donc comme ces deux films ont formellement et dans leur construction de grandes similitudes. Pourtant, au petit jeu des comparaisons, c'est Lichter et non pas Elephant qui sort grand vainqueur. Et de très loin. Sur le plan esthétique, dans la composition des plans, Gus van Sant est peut-être supérieur à Hans-Christian Schmid, et encore ça se discute au vu de la superbe photo de Bogumil Godfrejow dans Lichter. Mais dès qu'on s'attarde à l'histoire, le réalisateur relègue le réalisateur de Will Hunting loin en arrière. Dans son récit romancé du massacre de Columbine, Gus van Sant place ses propres questionnements : un groupe d'élèves fréquentant un club gay, les deux tueurs s'embrassant sur la bouche avant leur randonnée mortelle, l'un d'entre eux jouant au piano la Lettre à Elise.