SYNOPSIS
: Monsieur Verdoux, caissier, est un bon époux et bon
père mais il a un passé assez lourd : il a séduit
puis assassiné douze femmes.
Retour sur Monsieur Verdoux à l'occasion
de la sortie en DVD, chez MK2, du film de Charlie Chaplin
avec Charlie Chaplin, Martha Raye et Isobel Elsom.
Qu’est-ce donc que cet intervalle
entre moi-même et moi ? ”
Le Livre de l’intranquilité, Fernando Pessoa
Ed. Christian Bourgeois (vol.1, p. 34)
Monsieur Verdoux
de Charlie Chaplin met en scène la plus scandaleuse identité
humaine : un tueur de femmes en série. Dans ce film d’une
noirceur absolue, le cinéaste entreprend un travail de déflagration
au sein des systèmes de la société : la Famille, le Mariage,
l’état, la Justice, le Travail. Un contre-pouvoir systématique
où la figure extrême du dandy s’affiche comme irréductible
identité. Il s’agit pour le cinéaste d’affirmer plus encore
la prégnante présence de son corps, carrefour où se mélange,
sous nos yeux incrédules, toutes les physionomies de Charlot,
ici massacrées. La puissance d’invocation du film dépasse
largement son propos scénaristique, qui peut se lire comme
une thèse, un concept cinématographique - une vaste démystification
de tous les leurres des rapports humains, ou bien encore tuer
la société des hommes.
Le film débute sur un travelling
avant dans un jardin. Erreur rectifiée car une voix précise
la particularité de ce lieu découvert : il s’agit d’un cimetière
- la Nature est toujours pour le cinéaste un lieu ambigu,
traversé de tensions et d’agressivité. La voix ordonne le
mouvement de la caméra et notre attention par là-même. Ce
fantôme au timbre délicat et précieux ne cessera durant tout
le récit filmique d’inscrire plus encore son grain de parole,
arme absolue du langage audiovisuel au service d’une formidable
mise à distance de soi à soi. La puissance de révolte, de
résistance pour Verdoux passe par le langage, celui des mots
et des attitudes. Le corps ganté, sautillant parfois, drapé
de flanelle délicate vise à détruire toute image de la masculinité
hollywoodienne de l’après-guerre. Chaplin fait osciller son
corps dans un entre-deux fragile et destructeur, à la fois
le dieu Pan d’une Idylle aux Champs, ludique et pervers
et Don Juan, l’homme sacrificiel.
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