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Eyes Wide Shut (c) D.R. EYES WIDE SHUT
de Stanley Kubrick
Par Richard DALLA ROSA


SYNOPSIS : William Harford et sa femme Alice mènent la vie banale d'un jeune couple new-yorkais... Aussi, lorsque Alice révèle à son mari ses fantasmes adultères, William, dévoré par cette troublante confession, cède à la jalousie et au jeu de la tentation. Il entame alors un périple nocturne où ses obsessions le mènent en des lieux étranges et mystérieux...

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LA GUIRLANDE FANTASMATIQUE

  Eyes Wide Shut (c) D.R.
Un film très attendu n’est pas forcément décevant. Tout dépend de notre comportement face à l’œuvre d'art qu'on ne doit pas confondre avec un produit de consommation rapide, à notre époque où l’urgence nous pousse dans les derniers retranchements de nos préjugés. Non, aller voir un film, un tableau, ou encore ouvrir un livre et écouter de la musique, c’est s’abandonner. S’oublier pour mieux revenir à soi ; et le moi aura imperceptiblement changé, c'est la seule chose dont on peut être sûr avant.

L'ère du soupçon empêche parfois cet abandon, et la seule urgence, de nos jours, est d’entrer dans une nouvelle ère. Le film de Stanley Kubrick nous en montre la direction, qui est d’autant plus claire que le titre nous dit ironiquement d’y aller aveuglément. Effectivement, la scène cruciale du film est une scène invisible, non montrée, sur laquelle nous avons, à juste titre, les yeux fermés. Cette scène se glisse entre la nudité nocturne des deux protagonistes devant le miroir et leur réveil au matin suivant, à la fin du premier tiers de l’histoire. Cette scène existe nécessairement en nous, dans un lieu qu’on ne peut qualifier plus précisément que par l’expression galvaudée de " quelque part ". Toute l’intrigue du film se joue dans l’ambiguïté de cette intimité dont on ne sait rien. D’ailleurs, la question se précise : ce n’est pas où, mais si oui ou non l’homme et la femme se sont donnés l’un à l’autre. Là naît le fantasme. Derrière nos paupières closes, là où se réfugient nos inclinations les plus désireuses. Car un fantasme est un cadeau qu’on imagine, un fantasme est la projection d‘un présent à venir, là, sous le sapin de Noël où brille la guirlande féstive. Car un fantasme est une invitation à la fête, qui sonne comme un " faites vous-mêmes ", une image qu’on ne voit pas et qui ne peut mentir.

Eyes Wide Shut (c) D.R.
En revanche, ce qu’on voit peut parfois se prêter au mensonge, surtout quand on cherche à faire mentir l’image, ce que tente le personnage incarné par Sydney Pollack, dans lune des dernières scènes du film. Il répète à plusieurs reprises que ce qui s’est passé ce fameux soir durant la débauche vénitienne n’était qu’une parade théâtrale, que c’était de la mise en scène, que la jeune femme n’a pas été assassinée, en un mot. " It was fake ", voilà ses paroles. " Fake " qualifie aussi ce qui est falsifié, faux. Et l’autre mot qui résonne étonnamment avec celui-là est celui de la fin, car fuck isnt fake. Ici, Kubrick a réussi à toucher les deux principales faiblesses de l’humanité en ce siècle finissant : limage et la sexualité. On ne s’attarde plus sur le désir, on baise ; on ne comprend plus ce qu’on voit, on regarde. La sexualité a été mise exagérément en images, et cette démonstration forcenée a fait du sexe un monstre. " Les relations à partenaires multiples, l’infidélité, le viol, l’inceste ont toujours existé. Pourquoi en parler avec plus d’insistance aujourd’hui ? " demande Tony Anatrella dans son magnifique essai Le sexe oublié (Champs, Flammarion, 1990). Kubrick répond à cette question à travers le comportement des personnages croisés par Tom Cruise dans le film, tous paumés dans leur affectivité errante.