EVOCATION
Georges Franju est justement célèbre
pour ses films courts documentaires, du Sang des bêtes
à Hôtel des Invalides. Il faut impérativement les voir
pour apprécier notamment les astucieuses nuances introduites
entre l’image et le commentaire qui ont fait de ces commandes
institutionnelles de passionnants détournements subversifs.
C’est le Franju en lutte contre les hypocrisies, les conventions
et les puissantes institutions. Le Franju de la colère froide.
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On trouve dans La première nuit l’autre
Georges Franju, celui capable avec son chef-opérateur Eugen
Shuftan de transfigurer une réalité des plus banales en une
atmosphère étrange et onirique. La citation de Boileau-Narcejac
mise en exergue est à ce titre représentative de l’ensemble
de l’œuvre de Franju : « Il suffit d’un peu d’imagination
pour que nos gestes les plus ordinaires se chargent soudain
d’une signification inquiétante, pour que le décor de notre
vie quotidienne engendre un monde fantastique. Il dépend de
chacun de nous de réveiller les monstres et les fées ».
La première nuit est celle que passe
un gamin d’une dizaine d’années dans le métro, à la recherche
d’une fillette dont il est amoureux. « Ce film est
dédié à tous ceux qui n’ont pas renié leur enfance, et qui
à dix ans, ont découvert à la fois l’amour et la séparation. »
indique Franju.
Anonyme perdu dans la foule quotidienne
du métro, le gamin se retrouve aspiré dans un réseau labyrinthique
dont il ne voit pas la sortie. Des guirlandes électriques
clignotantes figurent les différentes lignes de métro. Un
aveugle joue de l’accordéon. Les pas de jeunes adolescentes
résonnent dans les couloirs qui s’allongent démesurément.
Un gardien fait du vélo dans un boyau qui va bientôt s’éteindre
: le métro va fermer. Des gerbes d’étincelles jaillissent
en murmurant : les ouvriers travaillent la nuit. Le gamin
s’endort sur un escalator, fourbu, caressant le rêve de retrouver
la fillette blonde qu’il recherche désespérément. C’est en
entrant dans le rêve « à contre-sens de l’escalator »
qu’il part à sa recherche. La petite apparaît seule debout
face à lui dans un métro vide. Elle passe. Trop tard.
Au plafond, des servantes (1) sont
allumées. Le petit pleure dans ses mains. La fillette apparaît
quand il relève la tête, avant de s’évanouir dans l’espace-temps.
Magie du hasard, et réponse à ses désirs : un métro arrive
devant lui, une porte s’ouvre, l’invite à monter. Croisement
de deux métros, croisement de deux regards amoureux. Moment
d’éternité suspendu, cruellement achevé par une triviale dénivellation.
Le rêve se rompt, l’escalator
remarche. C’est le petit matin. Le garçonnet croise les premiers
techniciens, affleure du sol et apparaît au jour, traverse
un parc, heureux.
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(1) des ampoules au
bout d’un fil
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