Un gazetier fumeux, qui se croit
un flambeau,
Dit au pauvre, qu’il a noyé dans les ténèbres :
" Où donc l’aperçois-tu, ce créateur
du Beau,
Ce redresseur que tu célèbres ? "
Charles Baudelaire
L’imprévu - Les fleurs du mal
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L’Atalante fut tourné lors
de l’hiver 1933. Un hiver précoce, rude, agressif,
tenace… un hiver qui poussait les individus à l’excès.
Jean Vigo, notamment. Il lui restait moins d’un an à
vivre. Un an, c’est si court… surtout lorsqu’on sait qu’il
vient juste d’avoir 28 ans. Bien sûr, il n’était
pas question d’attendre le prochain hiver pour tourner un
premier (et unique) long-métrage… ni le printemps,
ni l’été… Non, il fallait faire ce film maintenant…
tout de suite ! Vif, entreprenant, convaincant, sans
doute pressé par une Urgence trop vicieuse,
attendu bientôt par la Mort, Jean Vigo créa L’Atalante
de toutes pièces. A l’origine, L’Atalante était
un scénario écrit par un homme, " Jean
Guinée " en littérature, Roger de
Guichen à la ville. Cet homme, qui n’avait rien à
voir de près ou de loin avec le cinéma, poursuivit
une honorable carrière bancaire. Le renom qui s’attache
au film qu’il a jadis écrit et la gloire de Jean Vigo
semblent toujours l’avoir étonné. Toujours est-il
qu’il est, cependant, le premier à penser que L’Atalante
est un film de Jean Vigo. Exclusivement !
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On sait que Jean Vigo fut contraint de réaliser
ce film de " commande ". Son producteur,
Jacques Louis-Nounez, à l’origine un homme d’affaires
qui voulait débuter dans la production cinématographique
non pour s’assurer de meilleurs revenus mais pour faire disparaître
SA très grande déception devant la production
française du moment, voulut après Zéro
de conduite (1933), donner une seconde chance à
Vigo. Il faut rendre un immense hommage à monsieur
Jacques Louis-Nounez. C’est la conviction inébranlable
de cet homme, malgré une énorme pression de
la part des distributeurs… en l’occurrence, la Gaumont-Franco-Film-Aubert,
qui permit à Jean Vigo d’exprimer de façon la
plus pure toute sa révolte. Lorsque Jacques Louis-Nounez
eu dans les mains le scénario de L’Atalante,
il suggéra à Vigo d’en faire un film. Le scénario
original ne présentait pas " de points subversifs. "
Il s’agissait de l’histoire… d’un jeune marinier, patron d’un
chaland à moteur, qui épouse une fille de la
campagne. La jeune épouse, supportant très mal
la vie des mariniers, est attirée par les plaisirs
mondains de la ville. Elle est entraînée dans
cette idée par un autre jeune marinier, amoureux d’elle.
Alors, elle quitte la péniche et gagne la ville. Le
vieux marinier qui vit avec le patron de L’Atalante, qui n’a
absolument aucun point commun avec le Père Jules/Michel
Simon, ramènera la jeune femme au foyer. Ce qui manque
au scénario de Jean Guinée et ce qu’apportera
Jean Vigo, c’est de l’Humain. Aussi, il faut noter
une absence totale de points de vue et, quant à l’amour,
un manque cruel de Passion.
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