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  L'Atalante (c) D.R.
D’après un article d’Alexandre Arnoux publié le 20 décembre 1928 dans Pour Vous, l’hebdomadaire du cinéma, à propos de l’interdiction d’un film de Jacques Feyder, Les Nouveaux Messieurs, la Commission de Contrôle ne se réunissait jamais : " Composée moitié de fonctionnaires et moitié de professionnels du film, c’est à dire de gens fort occupés par ailleurs, elle délègue ses pouvoirs à une sous-commission de 3 ou 4 membres qui pour simplifier elle-même son travail, confie généralement le soin de la représenter devant l’écran à une dactylographe. " Le problème de la censure, vu sous cette angle, mériterait une étude à elle toute seule. Donc, au moment de la sortie (prévisionnelle) de Zéro de conduite, la censure passait d’un ministère à un autre. Le ministère de l’Education Nationale avait Sa Raison. Le ministère de l’Intérieur avait la sienne : une autre… tout aussi étouffante ! Difficile alors pour un film juste, plein d’amour, baignant dans une atmosphère de révolte légitime… et rendue légitime, difficile pour ce film d’exister ! A cette période, l’auteur de cinéma n’était pas là pour critiquer la société ! Pas du tout ! On préférait le cinéma " sans relief " de René Clair.

Vigo, marqué par une enfance solitaire, malgré tout… heureuse dans le fond, accepta de tourner L’Atalante, qui, il faut bien le dire, au départ, ne l’enthousiasmait guère. Et puis… commença la Transformation… avec un grand T ! La Transformation du sujet par Jean Vigo a été radicale ! Elle rappelle le travail de Murnau sur L’Aurore en 1927… " j’ai vu le plus beau film du monde " on a pu entendre partout… qui est, à l’origine, un sujet d’une " légèreté " aussi conventionnelle que celle de L’Atalante. En plus de s’appeler Jean Vigo, il faut autre chose pour réussir L’Atalante : il faut l’engagement sans faille de ses collaborateurs, dont Boris Kaufman, demi-frère de Dziga Vertov, génial Homme à la caméra, Kaufman qui signa avec Vigo les plus belles images des années trente, dont Maurice Jaubert, musicien idéal, qui avait déjà crée l’Inédit dans la scène des " oreillers " de Zéro de conduite, dont Michel Simon, inestimable interprète, et Jean Dasté, " Pierrot lunaire ", pion sympathique, burlesque, il faut cette équipe réunie autour du jeune metteur en scène fiévreux, pour que L’Atalante devienne un chef-d’œuvre… un peu plus " chef " que ses aînés ! Jean Vigo inventa " le Père Jules ", le " Camelot ", et il ne s’arrêta pas de créer… d’imaginer… d’inventer !… Sur le tournage, selon les témoignages rapportés plus tard par ses amis, il vivait plus que les autres. A partir d’un objet, il déterminait la clef de voûte d’une scène. Au moyen d’un geste, il libérait du plus sombre des cachots, la Poésie !

L'Atatalante (c) D.R.
Le " sens " du cinéma serait un don très précis et très rare. Et " sens " du cinéma il y a dans les films de Jean Vigo. A Propos de Nice (1929), satirique pamphlet, " modeste brouillon pour un tel cinéma  " comme l’affirme Jean Vigo dans son texte de présentation au public, est, dans son genre, une " bombe " réglée à l’heure juste ! Truffé d’inventions esthétiques et techniques, ce " point de vue documenté ", plus directe qu’Un Chien andalou (1928) de Bunuel, dont le jeune metteur en scène français fait l’éloge dans son discours de présentation, est déjà tout Vigo : sincère, apolitique, écœuré, violent, passionné, fantaisiste, cinéaste dévoué corps et âme au cinéma, à l’appareil de prise de vue qui " n’est tout de même pas une machine pneumatique à faire le vide ". Toujours accompagné de Boris Kaufman, avec lequel il inaugure une courte mais inoubliable collaboration, il s’amuse avec l’ " Appareil ", une " DEBRIE ", du nom de son inventeur… une caméra achetée grâce à l’argent versé par le père de la femme de Jean Vigo, son autre passion, il s’amuse avec l’ " Appareil " à côtoyer le monde urbain : la bourgeoisie de Nice, qui se bronze sur la Promenade des Anglais, et puis, en traînant à l’arrière de cette même ville… symbole de la bourgeoisie riche des années folles, il surprend la pauvreté qui s’organise dans la Douleur. Une fois encore, tout le cinéma de Jean Vigo s’exprime ici : les pauvres comme les riches ne sont ni des héros, ni des larves… ils sont simplement montrés, aimés ou/et détestés selon le " Plan " ébauché. C’est exactement avec ce regard " honnête ", cette distance " respectueuse ", cette absence d’ " hauteur héroïque " que seront montrés les personnages de Zéro de conduite et de L’Atalante. Au contraire, plus tard, Carné fera du pauvre chômeur un véritable Héros, à l’image de Jean Gabin dans Le Jour se lève, un homme qui, à un moment donné, monte sur la tête des gens, de la foule, pour s’insurger contre le Pouvoir. On appelle cela le " Réalisme Poétique ". Et on dit que Jean Vigo en a été le précurseur. C’est totalement absurde ! Evidemment ! Jean Vigo va beaucoup plus loin que ça… il évoque plutôt le " Néo-Réalisme italien ", la " Nouvelle Vague ", le côté " justificatifs à fournir " en moins. Il a déjà lancé le " cinéma-vérité ", rendu émouvant les théories russes. Mais le " Réalisme Poétique ", pas vraiment ! On parle d’une " école française des années trente ". Je me demande si il est bien raisonnable de faire entrer Jean Vigo à l’école. Lorsque, par pauvreté matérielle, Vigo fait répéter aux acteurs de son film certaines parties des dialogues, à cause de la mauvaise qualité du son, il ne veut pas " innover " : il veut juste se faire comprendre. Et tant mieux, c’est ainsi la marque des grands créateurs, si la poésie s’invite à la table ! Tant mieux si c’est le " style ", à défaut de l’ " idée ", qui vient s’emparer des images.