SURVIE, MODE D'EMPLOI
Et s'il n'y avait plus de lendemain
? Dans Un jour sans fin, un homme se réveille
au même endroit chaque matin et revit le même
jour indéfiniment (" le Jour de la marmotte ").
Harold Ramis exploite pleinement ce canevas burlesque, au
comique extravagant et déroutant. Comment le corps
du héros se repère-t-il dans l'espace et le
temps ? Détaché du pays de la raison et naufragé
sur une île non-sensique, il ne prévoit pas sa
journée mais les autres l'organisent, de rencontres
en rendez-vous obligés, d'ami denfance retrouvé
chaque matin au même endroit, en hasards connus d'avance
et aussitôt assimilés. Vivre au gré dune
spirale quotidienne infinie et infernale : comment le corps
de Phil Connors vit-il deux, trois fois la même scène
? Saute-il les cases de son jeu de l'oie dans la ville, au
regard de son humeur ? Brûle-t-il les étapes
pour ne pas amplifier un même cauchemar dupliqué
de jour en jour ? Si chaque scène comporte une double,
triple ou quadruple version dans un futur antérieur,
à quelle multiplicité des corps et des identités
renvoie chacune des saynètes ?
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Le premier plan de Phil Connors, présentateur
de météo pour une émission de télévision,
annonce ses problèmes à venir. Dans la main
droite en mouvement superposée sur un fond bleu, se
lit par anticipation, sa confrontation au temps. Déjà
apparaît le rapport de Connors aux prédictions
du jour suivant. Il souffle dans le vide, devant le décor
bleu roi, et les nuages s'allongent vers la gauche, comme
par magie du trompe l'oeil. En vérité, Connors,
qui avait une emprise virtuelle sur le temps à venir
; symbolisée par la main sur le fond bleu ; va être
délesté de son pouvoir, largué dans un
décor aussi anonyme, sans carte ni boussole et toujours
privé de lendemain.
" Selon la légende " (comme chaque année),
en ce 2 février, une marmotte annonce " dans son
marmottien natal ", devant le parterre d'une petite ville
de Pennsylvanie, l'arrivée du printemps ou le prolongement
de l'hiver (d'une durée de six semaines). Un homme
traduit le propos de l'animal : l'hiver sera encore long.
Seul Connors a recours aux sarcasmes pour rendre dérisoire
la déception outrée de la foule réunie.
En ce second 2 février, Connors se réveille
et tout recommence, la musique, les paroles et la météo
de la veille, qui annoncent à nouveau le jour de la
marmotte.
La dérision, signe de détachement, est le mode
de réception de Connors, son humour cynique, sa principale
arme contre la nouvelle vie absurde et périlleuse qui
se présente à lui. L'homme est détaché,
mais l'humour reste grinçant. Sa dérision peut
être involontaire (" Vous faites du déjà-vu,
Mme Lancaster ? Je ne crois pas, non, mais je vais aller voir
en cuisine " répond l'hôtelière)
ou caustique (Et s'il n'y avait pas de demain ? Il n'y en
a pas eu aujourd'hui !) : à chaque fois, son langage
est incompris, à double sens et son incompréhension
redouble.
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Mais si le temps semble répété
et le jour, infini, l'espace reste assimilable. La maîtrise
de l'espace rappelle celle de Chaplin, dans les petits films
mettant en scène Charlot, à la différence
près que l'apprentissage d'une telle maîtrise
se substitue à une maîtrise innée de l'espace,
comme pour Charlot. Au petit matin, dans la ville ambulante,
chacun vaquant à ses occupations, l'un comme l'autre
déambule : même sûreté, même
audace ou effronterie dans la démarche, avant un vol
de nourriture (Charlot) ou d'argent (Connors). Le burlesque
naît ici, dans la scène du hold-up, de l'assurance
de Phil se dirigeant, à pas comptés, au coeur
d'un petit monde agité (convoi bancaire, porte du coffre
ouverte, surveillants distraits) ; schéma idéal
et calculé à la seconde près, pour un
vol matinal. Phil Connors n'organise pas l'espace, mais il
le régit presque, en s'accordant à la mesure
mécanique du temps et aux faits et gestes machinaux
des habitants. En commettant un hold-up, il prouve sa maîtrise
et son omnipotence spatiales et temporelles dans l'infiniment
petit. En revanche, passé la ville, le corps ne possède
aucun repère dans l'infiniment grand, le blizzard insistant
empêchant Connors de fuir par les airs ou par la route.
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