Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
Un jour sans fin (c) D.R. UN JOUR SANS FIN
GROUNDOG DAY

d'Harold Ramis
Par Gilles LYON-CAEN



SURVIE, MODE D'EMPLOI

Et s'il n'y avait plus de lendemain ? Dans Un jour sans fin, un homme se réveille au même endroit chaque matin et revit le même jour indéfiniment (" le Jour de la marmotte "). Harold Ramis exploite pleinement ce canevas burlesque, au comique extravagant et déroutant. Comment le corps du héros se repère-t-il dans l'espace et le temps ? Détaché du pays de la raison et naufragé sur une île non-sensique, il ne prévoit pas sa journée mais les autres l'organisent, de rencontres en rendez-vous obligés, d'ami denfance retrouvé chaque matin au même endroit, en hasards connus d'avance et aussitôt assimilés. Vivre au gré dune spirale quotidienne infinie et infernale : comment le corps de Phil Connors vit-il deux, trois fois la même scène ? Saute-il les cases de son jeu de l'oie dans la ville, au regard de son humeur ? Brûle-t-il les étapes pour ne pas amplifier un même cauchemar dupliqué de jour en jour ? Si chaque scène comporte une double, triple ou quadruple version dans un futur antérieur, à quelle multiplicité des corps et des identités renvoie chacune des saynètes ?

  Un jour sans fin (c) D.R.

Le premier plan de Phil Connors, présentateur de météo pour une émission de télévision, annonce ses problèmes à venir. Dans la main droite en mouvement superposée sur un fond bleu, se lit par anticipation, sa confrontation au temps. Déjà apparaît le rapport de Connors aux prédictions du jour suivant. Il souffle dans le vide, devant le décor bleu roi, et les nuages s'allongent vers la gauche, comme par magie du trompe l'oeil. En vérité, Connors, qui avait une emprise virtuelle sur le temps à venir ; symbolisée par la main sur le fond bleu ; va être délesté de son pouvoir, largué dans un décor aussi anonyme, sans carte ni boussole et toujours privé de lendemain.

" Selon la légende " (comme chaque année), en ce 2 février, une marmotte annonce " dans son marmottien natal ", devant le parterre d'une petite ville de Pennsylvanie, l'arrivée du printemps ou le prolongement de l'hiver (d'une durée de six semaines). Un homme traduit le propos de l'animal : l'hiver sera encore long. Seul Connors a recours aux sarcasmes pour rendre dérisoire la déception outrée de la foule réunie. En ce second 2 février, Connors se réveille et tout recommence, la musique, les paroles et la météo de la veille, qui annoncent à nouveau le jour de la marmotte.

La dérision, signe de détachement, est le mode de réception de Connors, son humour cynique, sa principale arme contre la nouvelle vie absurde et périlleuse qui se présente à lui. L'homme est détaché, mais l'humour reste grinçant. Sa dérision peut être involontaire (" Vous faites du déjà-vu, Mme Lancaster ? Je ne crois pas, non, mais je vais aller voir en cuisine " répond l'hôtelière) ou caustique (Et s'il n'y avait pas de demain ? Il n'y en a pas eu aujourd'hui !) : à chaque fois, son langage est incompris, à double sens et son incompréhension redouble.

Sauvage Innocence (c) D.R.

Mais si le temps semble répété et le jour, infini, l'espace reste assimilable. La maîtrise de l'espace rappelle celle de Chaplin, dans les petits films mettant en scène Charlot, à la différence près que l'apprentissage d'une telle maîtrise se substitue à une maîtrise innée de l'espace, comme pour Charlot. Au petit matin, dans la ville ambulante, chacun vaquant à ses occupations, l'un comme l'autre déambule : même sûreté, même audace ou effronterie dans la démarche, avant un vol de nourriture (Charlot) ou d'argent (Connors). Le burlesque naît ici, dans la scène du hold-up, de l'assurance de Phil se dirigeant, à pas comptés, au coeur d'un petit monde agité (convoi bancaire, porte du coffre ouverte, surveillants distraits) ; schéma idéal et calculé à la seconde près, pour un vol matinal. Phil Connors n'organise pas l'espace, mais il le régit presque, en s'accordant à la mesure mécanique du temps et aux faits et gestes machinaux des habitants. En commettant un hold-up, il prouve sa maîtrise et son omnipotence spatiales et temporelles dans l'infiniment petit. En revanche, passé la ville, le corps ne possède aucun repère dans l'infiniment grand, le blizzard insistant empêchant Connors de fuir par les airs ou par la route.