LES TOILES DU
CAUCHEMAR
Suspiria, comme la plupart des films de Dario Argento,
est construit autour d'une intrigue formelle, qui, une fois
résolue, permet au final de localiser l'assassin, et
accessoirement d'en révéler l'identité.
Il s'agit d'une image ou d'un son dont la signification pose
problème. Dans Suspiria, Suzie Banner, l'héroïne,
n'arrive pas à se rappeler ce que criait la fille dans
l’interphone, sa voix étant couverte par le bruit de
l'orage. A force de concentration les mots prononcés
lui reviennent : "tourne l'iris bleu !".
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Cette découverte l'amène à
comprendre qu'il faut tourner la fleur, incrustée en
relief dans la tapisserie d'une des pièces de l'école
de danse, qui ouvre une porte secrète dans le même
mur : c'est la clé de l'image (la tapisserie). Mais
chose importante, par la suite c'est un éclair qui
localise fortuitement la sorcière dans sa chambre,
en soulignant son contour comme une silhouette transparente.
C'est cet éclair qui dénoue la véritable
intrigue du film, à savoir : d'où (et de qui)
viennent tous les sons (soupirs, grognements mêlés
à une musique leur étant propre) qui traversent
chaque séquence de meurtre La singularité de
Suspiria réside ainsi dans la place de l'assassin
dans le film : quelque part entre les images.
Dans le premier meurtre, la fille qui s'est
échappée de l'école de danse sent une
présence envahir sa chambre d'hôtel : le son
caractéristique associé aux meurtres, soupirs
et musique, devient omniprésent. Elle essaie en vain
de scruter le noir par-delà la vitre de sa fenêtre
; aussitôt, un bras en sort et la saisit. Dans les ténèbres
il n'y a rien d'autre que sa propre peur (son reflet dans
la vitre), et elle n'a rien vu qui nous permette d'expliquer
l’événement. Pour localiser la sorcière,
il est inutile de se noyer dans l'image, car elle est ailleurs.
Intentionnellement, Argento raccorde ensuite sur un aveugle
- le pianiste de l'école. Et celui-ci mourra, paradoxalement,
d'avoir cherché à voir. En effet, au moment
où il ressent la présence de son agresseur,
son réflexe est de paniquer : la faculté de
voir lui faisant défaut, il s'en remet à son
chien (ses yeux); or c'est l'animal, qui, possédé
par l'esprit maléfique, se retourne contre lui. La
peur liée au regard est fatale.
Lorsque Suzie et sa camarade doivent dormir
avec les autres élèves dans le hall, des draps
les entourent pour les séparer des professeurs. On
leur a dit que la directrice serait présente parmi
eux. Alors que ses soupirs se font entendre, elles les attribuent
instinctivement à l'ombre portée sur un des
draps. Nous croyons alors avec elle qu'il suffirait de lever
cette "toile d'écran" pour découvrir cette personne
entourée de mystère. Mais c'est évidemment
interdit (comme au cinéma), et un simple zoom dans
la zone d'ombre conclue la séquence, et pour l'instant,
nous nous sommes encore égarés dans le noir.
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