A l’occasion de la rétrospective
intégrale Brian De Palma au Centre Georges Pompidou
du 6 février au 4 mars 2002.
" (…) Brian De Palma le véritable
analyste de la mutation de notre société en
une civilisation de l’image et des technologies "
(1).
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I -
Devant l’image : L’image, chez Brian De Palma, décline
champ et contrechamp, un visage et son corps. Une image et
son corpus. A travers les deux faces de l’image, la focalisation
sur l’événement et la foule qui l’entoure (le
point d’acmé Dionysus in 69), ses ramifications
ou passages secrets (pièces attachées ou divers
avatars de Body Double à Snake eyes),
une lourde connivence se tisse : le volet se rabat sur
l’autre qui se rabat sur le précédent, par-derrière
murs, couloirs, ascenseurs, halls de gare. Le mur, entre les
volets de l’image, n’est pas la paroi verticale qui sépare
le centre de la périphérie, l’action de l’à-côté
de l’image, mais l’orifice, les deux côtés s’aimantent
(et se mentent). Les fils coupés, l’enquête en
cours, on procède par circuit électronique (l’ascenseur
dans Mission : impossible) ou par branchement d’images,
faute de ne pouvoir assister à la remontée ou
descente vers les images manquantes (l’ascenseur dans Snake
eyes).
II
- Derrière l’image :
Avant que l’image ne vole en mille morceaux, il faut s’inscrire
dans le défilé latéral ou vertical des
images, qui n’est valable qu’en se fondant dans les écrans
de contrôle. Après, il s’agit de faire exploser
(to blow out) et non plus agrandir (to blow up)
les photogrammes (Snake eyes), ou aquariums (Mission:impossible)
avant la chute des murs.
Le cinéma de De Palma, long travelling qui joint le
champ au hors-champ, lie les images intra muros. Il
révèle surtout l’échec devant l’image
de ceux qui les produisent et en meurent, impuissants ou épuisés
par tant d’onanisme latent.
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Impuissance : dans
Snake eyes, Santoro ne peut entrer dans l’image, l’ascenseur
qui est filmé ; il reste dans le contrechamp des
caméras. Pour remonter vers les images manquantes,
il faut contester le défilement de l’enquête :
" pour De Palma, il faut toujours accéder
à une intériorité de l’image, mettre
à jour son anatomie " (S. Du Mesnildot).
Épuisement : l’image, plan-aquarium avant implosion
de l’intérieur, doit être perforée à
maintes reprises, sous toutes ses coutures. Caresser la vérité
= repriser le tissu de l’image. Pénétrer dans
l’image = se couler dans le fleuve des images.
III -
" L’œil volant à gravité zéro "
: Un quotidien réputé avait titré
" Au sommet du n’importe quoi " à
la sortie du sublime Snake eyes. Si De Palma se hisse
au sommet avec ce film, c’est qu’il parvient paradoxalement
à une pleine maîtrise panoptique (un cinéma
de l’acmé ralenti) dans l’arrêt sur image, la
suspension du sens. Avec Carrie, qui quadrille les
lieux et massacre tout ce qui bouge, De Palma redessine une
modernité liée au cinéma du trauma, dans
la peur et la perte des images. Cinéma post-Vertigo :
les enquêteurs perdent la vue et l’ouïe - les tympans
abîmés et le cœur malade. Le postulat de Blow
up voit son renversement s’enrouler en de multiples abîmes.
Pornographie du regard et des corps (Body Double),
combat du pion contre l’échiquier (the zero
gravity flying eye, la mission impossible du regard),
cette rétrospective a remis en valeur la post-modernité
du cinéma de De Palma, qui naît du constat
suivant : " Plus on a d’informations sur un
événement, plus il devient flou "
(2). Et une découverte majeure :
Sœurs de sang, qui conteste le " fantôme
plastique " (N. Brenez) de l’image et en baisse
le voile qu’ont caressé tant d’analystes. Le split-screen
qui réunit le champ et le contrechamp, tout en déchirant
le tissu de l’image en deux parties indissociables, est ici
personnifié : dans l’histoire des sœurs siamoises
séparées au bout d’une longue coexistence forcée
se lit une nouvelle donne malade, la brisure de l’image.
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