Il est des moments – délicieux – où deux plans, deux séquences,
s’éclairent l’une l’autre, se répondent à plusieurs années de
distance dans l’œuvre d’un auteur. |
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Prenons ainsi deux scènes : la première,
dans Happy Together, au cours de laquelle Lai Yiu-fai
est invité à confier ses peines à un dictaphone ; la
seconde dans In the mood for love, lorsque Chow Mo-wan
(toujours Tony Leung) enferme son secret dans la pierre d’un
temple. Dans les deux cas, l’acteur se livre à une expérience
limite : dire le mal-être qui l’étreint, cette histoire
qui, pourtant, lui échappe. Les premiers plans de ces deux
séquences s’attachent à décrire le visage du protagoniste
- ce dernier est confronté, acculé à la confession, à verbaliser
ce qu’il ne peut exprimer. Puis la caméra s’éloigne, adopte
un point de vue subjectif : on observe de loin celui
qui se confesse (c’est le compagnon de cuisine deLai Yiu-fai
ou un enfant situé en hauteur dans le temple cambodgien).
Le secret ne peut être approché, il n’advient qu’à distance,
comme un mystère à l’égard duquel on ne saurait trop s’approcher
– par respect, ou peut-être par sagesse.
Puis l’espace reprend ses droits. La caméra, quittant le lieu
du secret, s’attache à l’environnement dans lequel ce dernier
se déploie. C’est le phare des Galapagos dans Happy Together,
le temple bouddhiste dans In the Mood for love. Le
secret, dorénavant, peuple de manière diffuse ces espaces.
Il en imprègne les moindres recoins et en partage le caractère
sacré.
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Ce que filme Wong Kar-Wai, ce n’est pas
seulement l’espace du secret mais le lieu précis (et introuvable)
où son histoire, l’émotion qu’il cherche à rendre, à toucher,
se réalise, prend un visage reconnaissable par nous. Ce que
ces quelques séquences analogues d’un film à un autre indiquent
n’est rien d’autre que la tentative d’un réalisateur à effleurer
ce qui, dans une histoire, compte le plus pour lui, en recourant
à l’inexprimable – le secret d’un homme perdu dans un paysage.
Si ces séquences viennent à la fin des deux films, c’est précisément
pour en synthétiser la teneur et générer un débordement (celui
du cœur) grâce auquel le film parvient à sa plénitude. C’est
la dernière touche du maître, celle du silence agrémenté -
ou non - de larmes convulsives et réprimées. L’œuvre d’art
intègre ici sa propre limite, accepte de ne plus dire pour
seulement suggérer et rend, dans un respect qui confine à
l’amour, le mystère qu’elle renferme.
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