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Wong Kar-Wai (c) D.R. L’ESPACE DU SECRET
CHEZ WONG KAR-WAI

Par Matthieu CHEREAU


Il est des moments – délicieux – où deux plans, deux séquences, s’éclairent l’une l’autre, se répondent à plusieurs années de distance dans l’œuvre d’un auteur.

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  Happy Together (c) D.R.

Prenons ainsi deux scènes : la première, dans Happy Together, au cours de laquelle Lai Yiu-fai est invité à confier ses peines à un dictaphone ; la seconde dans In the mood for love, lorsque Chow Mo-wan (toujours Tony Leung) enferme son secret dans la pierre d’un temple. Dans les deux cas, l’acteur se livre à une expérience limite : dire le mal-être qui l’étreint, cette histoire qui, pourtant, lui échappe. Les premiers plans de ces deux séquences s’attachent à décrire le visage du protagoniste - ce dernier est confronté, acculé à la confession, à verbaliser ce qu’il ne peut exprimer. Puis la caméra s’éloigne, adopte un point de vue subjectif : on observe de loin celui qui se confesse (c’est le compagnon de cuisine deLai Yiu-fai ou un enfant situé en hauteur dans le temple cambodgien). Le secret ne peut être approché, il n’advient qu’à distance, comme un mystère à l’égard duquel on ne saurait trop s’approcher – par respect, ou peut-être par sagesse.

Puis l’espace reprend ses droits. La caméra, quittant le lieu du secret, s’attache à l’environnement dans lequel ce dernier se déploie. C’est le phare des Galapagos dans Happy Together, le temple bouddhiste dans In the Mood for love. Le secret, dorénavant, peuple de manière diffuse ces espaces. Il en imprègne les moindres recoins et en partage le caractère sacré.

In the mood for love (c) D.R.

Ce que filme Wong Kar-Wai, ce n’est pas seulement l’espace du secret mais le lieu précis (et introuvable) où son histoire, l’émotion qu’il cherche à rendre, à toucher, se réalise, prend un visage reconnaissable par nous. Ce que ces quelques séquences analogues d’un film à un autre indiquent n’est rien d’autre que la tentative d’un réalisateur à effleurer ce qui, dans une histoire, compte le plus pour lui, en recourant à l’inexprimable – le secret d’un homme perdu dans un paysage. Si ces séquences viennent à la fin des deux films, c’est précisément pour en synthétiser la teneur et générer un débordement (celui du cœur) grâce auquel le film parvient à sa plénitude. C’est la dernière touche du maître, celle du silence agrémenté - ou non - de larmes convulsives et réprimées. L’œuvre d’art intègre ici sa propre limite, accepte de ne plus dire pour seulement suggérer et rend, dans un respect qui confine à l’amour, le mystère qu’elle renferme.