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Abbas Kiarostami

La principale consiste à se cacher derrière un commentaire évident, généralement laconique, et qui évoque ce que l’on pourrait appeler les « identités remarquables » du film. Certains témoignages du type « j’ai bien aimé les bagarres » pour Hana-Bi, ou « ils passent trop de temps dans la voiture » pour Et la vie continue correspondent parfois à ce qui a véritablement marqué leur auteur. Mais en règle générale, ces commentaires ne reflètent rien de la finesse de perception dont sont capables les élèves. Ils témoignent seulement, en plus de la gêne chronique qu’ils éprouvent à l’idée de parler de leur propre expérience devant la classe, de la difficulté qu’ils rencontrent à dévoiler ce qu’ils ont perçu ailleurs qu’en surface. En effet, ils peuvent facilement aborder ce qu’ils ont reconnu, mais beaucoup plus difficilement ce qui ne peut être clairement identifié, et qui fait appel à un sens peu sollicité en milieu scolaire. Reconnaître avoir été touché ou ému par une séquence de film par exemple n’est pas ce qui est « attendu » en classe d’un élève, et peut par ailleurs exposer ce dernier aux moqueries de la classe entière.

Cette manière d’expédier son tour de parole en mentionnant tout d’abord un aspect « banal » du film témoigne aussi du besoin de certains élèves de prouver à leur enseignant qu’ils ont bien regardé le film, et n’en ont pas raté l’essentiel présupposé.

  Hana-bi

Cette résistance des élèves à une exploration du film plus en profondeur est démentie dès que la confiance s’installe, et qu’ils comprennent que je ne suis pas là pour « tester leurs connaissances », mais les encourager à défendre et argumenter leur vision, aussi personnelle soit-elle.

Le deuxième type de commentaire le plus répandu est interrogatif. Il consiste en une question qui m’est directement posée sur un point du film, souvent celui le plus ouvert, le plus énigmatique (la fin non explicite des deux films par exemple). Ces questions comme « est-ce qu’à la fin du film le père retrouve les deux enfants ? » sont souvent formulées sur un ton de reproche, comme s’ils en voulaient au film de ne pas leur avoir tout dit. Ce qu’ils perçoivent comme un « manquement » de la part du réalisateur ramène à cette angoisse de ce qui échappe à la raison et qui, de ce fait, pose question. Il leur est plus facile de délocaliser ce questionnement en sollicitant une réponse de l’intervenant que de se laisser gagner par ce trouble, cette zone d’ombre qui confine à l’intimité.  

Ce comportement montre aussi qu’aujourd’hui un cinéma qui questionne est un cinéma qui dérange. La norme des films actuels, du moins celle de ceux que les lycéens ont pour habitude de voir dans leur temps libre, étant de répondre à tout, de combler au maximum les « creux ».

Ces questions frontales témoignent aussi du rôle que les élèves attribuent aux intervenants, un rôle qui consisterait à venir leur dire ce qu’ils doivent avoir vu. Quand je leur dis qu’ils attendent de moi des réponses que parfois même le réalisateur serait incapable de fournir, il en résulte une sorte de déblocage. Je leur dis ensuite que s’ils n’ont pas trouvé d’eux-mêmes leur réponse dans le film, c’est peut-être tout simplement que celle-ci n’y figure pas, et que partant, elle se trouve certainement ailleurs, c’est-à-dire en eux, dans leur réflexion de spectateur.

Ce raisonnement a souvent pour effet de décomplexer les élèves dans leur rapport au film, puisqu’il les situe au même niveau que les « adultes » face aux mystères d’une œuvre. Ils peuvent alors ne plus « rejeter » la démarche de ces cinéastes qui ont confiance dans la capacité de chacun à voir, interpréter et imaginer. Leurs commentaires et analyses sortent de leur « refuge », et cessent de s’indexer sur ce qu’on leur présente régulièrement comme étant l’unique et bonne manière de voir les films.

Les élèves peuvent prendre goût au questionnement de l’image, envisager le cinéma comme un espace à investir et explorer avec les outils dont ils disposent et ceux que nous leur offrons.





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