Objectif Cinéma : D'où
est partie toute cette aventure ?
Roland Kermarec : J'ai
choisi David Lynch comme sujet de mon mémoire de
Maîtrise de Lettres Modernes quand j'étais
à la fac de Brest. J'avais envisagé dans un
premier temps de me concentrer sur ses deux premiers films,
Eraserhead et Elephant Man, mais mes directeurs de recherche
ont d'abord voulu que je resserre davantage le sujet autour
d'une thématique précise, tant ils n'étaient
pas sûrs de pouvoir eux-mêmes me guider. Ce
n'était pas évident pour eux d'accepter un
tel sujet, car la véritable filière cinéma
se trouve en fait à Rennes. Et il n'y a pas une filiation
évidente entre Eraserhead et la littérature
! Si encore j'avais choisi Dune ou même Sailor et
Lula !
Lynch a un rapport très difficile
avec les mots. Il montre dans son premier court métrage,
intitulé The Alphabet, qu'il refuse les mots. Et
s'il répète très souvent la même
chose dans ses interviews, c'est parce qu'il se méfie
des mots et préfère se réfugier derrière
un discours qu'il maîtrise parfaitement et ressert
invariablement aux journalistes (ses propos sur les idées
qui flottent dans l'air, son attirance pour les mystères,
etc.). Ecrire un mémoire de Lettres Modernes sur
Lynch pouvait donc paraître à l'origine un
peu étrange.
Objectif Cinéma :
Et des profs t'ont fait confiance
?
Roland Kermarec : J'avais
rencontré un prof qui faisait du théâtre
et un autre qui faisait un petit cours de critique de cinéma
en Licence. Ces deux professeurs se sont donc associés
pour diriger mes recherches. Je ne pouvais leur donner aucun
plan au début, contrairement à ce qui se fait
dans ce cas là, parce que je ne savais pas trop où
j'allais, et je n'avais qu'une vague idée de ce à
quoi j'aboutirais. Baliser très précisément
tout l'itinéraire que j'allais suivre durant cette
année-là aurait de plus un peu tué
tout désir de plongée dans un monde mystérieux.
Souvent, les mémoires ont des titres bien ronflants
avec des hypothèses pseudo-intellos... Comme Lynch
a un regard naïf sur le monde, un regard d'enfant avide
de découvrir l'univers sans la moindre idée
préconçue, j'ai voulu garder le même
esprit pour le mémoire et ne pas trop intellectualiser
mon propos : regarder ses films sans a priori, sans préjugés.
Mon mémoire de Maîtrise s'est
finalement concentré sur Eraserhead et sur les courts
métrages de Lynch (Six Men Getting Sick, The Alphabet
et The Grandmother. Après l'avoir soutenu, j'ai immédiatement
enchaîné avec un mémoire de DEA sur
Elephant Man, avec une base plus littéraire, qui
comprenait toutes les adaptations de la vie de Merrick,
notamment le texte de Frederick Treves, le chirurgien interprété
par Anthony Hopkins dans le film, ainsi que les recherches
très poussées de deux documentaristes anglais,
Michael Howell et Peter Ford, qui ont retracé la
vie de Merrick.
D'un côté, j'avais évoqué en
détails la vie du personnage en la comparant à
l'adaptation de David Lynch, et de l'autre, j'avais fait
des interprétations personnelles, tout en rappelant
à chaque fois ce que dit Lynch quand on lui demande
comment interpréter un film, autrement dit qu'il
y a autant d'interprétations que de spectateurs.
J'insistais à chaque fois sur ma propre subjectivité
et en aucun cas sur l'idée d'une interprétation
définitive du film.