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André S. Labarthe, issu des Cahiers
du Cinéma, à produit avec la
deuxième chaîne de télévision,
à partir de 1964, une série d’émissions:
"Cinéastes de notre temps", qu’il co-dirige
avec Janine Bazin. Cette série demeure
une référence de toute première
importance. Il s’agit de portraits de maîtres
cinéastes réalisés par de
jeunes réalisateurs de la Nouvelle vague.
Après dix ans d’interruption, la série
reprend au milieu des années 80, produite
par ARTE, sous le titre "Cinéma de notre
temps".
"
Savez-vous pourquoi j'ai si patiemment traduit
Poë ? écrivait Baudelaire.
Parce qu'il me ressemblait. La première
fois que j'ai ouvert un livre de lui, j'ai vu
avec épouvante et ravissement, non seulement
des sujets rêvés par moi, mais des
phrases pensées par moi et imitées
par lui, vingt ans auparavant. "
Beaucoup de la force de Cinéastes de
notre temps, de Cinéma de notre
temps, imaginés par Janine Bazin et
André S.Labarthe, est ainsi décrite
dans ces lignes d'un écrivain s'attachant
à faire passer l’œuvre admirée dans
une autre langue : identification, perturbation
de l'ordre canonique de la chronologie aboli par
l'admiration. Dans Cinéastes de notre
temps, Cinéma de notre temps,
les films substituent au présent du moment
enregistré et de l'extrait diffusé
celui du spectateur qui les rencontre par le truchement
d'un autre cinéaste.
L'admiration ne naît pas toujours de l’œuvre
ou des propos du cinéaste auquel Janine
Bazin et André S.Labarthe consacrent un
opus, mais en tous cas, de l'impression d'approcher
le mystère du cinéma en train de
se faire, et d'être conduit dans cette initiation
par un autre cinéaste : celui qui filme
met ses pas dans ceux de l'artiste filmé,
aussitôt emboîté par le spectateur
dans cette démarche.
Et c'est là une des forces les plus grandes
de ces films : que voyons-nous de Lang ou de Rivette
qui ne soit aussi discrètement coloré
par Labarthe ou Claire Denis et Serge Daney ?
Et qu'est-ce que les silences de Lang nous apprennent
sur nous ?
Cette alchimie peut s'opérer parce qu'elle
est catalysée par un sentiment proche de
l'admiration, celui qui nous donne, selon l'expression
de Labarthe, l'impression de voir le cinéma
" à l'état naissant ".
Privilège d'approcher ce qui nous fait
rêver, et, sans tomber dans les méandres
de la biographie, d'apprendre du cinéma
en voyant le corps des cinéastes...
La question de la transmission est au cœur de
ces films réalisés pour une télévision
qui accueille l'intelligence. C'est pourquoi l'on
écoutera Janine Bazin et André S.Labarthe
nous parler du désir qui les a poussés
à organiser cette invitation à passer
le relais, des cinéastes évoquer
comment ils l'ont fabriquée, à commencer
par Labarthe lui-même. C'est aussi pourquoi,
lors d'une table ronde, l'on interrogera aussi
ceux qui ont simplement reçu ces films,
réalisateurs, producteur..., cette fois
spectateurs, avant que de retourner à leurs
propres films, aujourd'hui.
Carole Desbarats
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