Thierry Frémaux,
récent directeur artistique du festival de Cannes,
avait surpris tout le monde l’an dernier en retenant dans
la sélection officielle un film d’animation produit
par une major hollywoodienne. Cette année la surprise
n’est pas venue de Hollywood, quoique Spirit en
fut une mauvaise, mais de Flint (Michigan). Qu’est-ce qu’il
y a à Flint ? Pas grand chose, si ce n’est le
lieu de naissance de Michael Moore, dont le film Bowling
for Columbine était en compétition officielle,
ce qui n’était pas arrivé depuis pas mal de
temps pour un documentaire (46 ans pour être précis).
Inviter un réalisateur (agitateur-provocateur), avec
un film tout aussi comparable, c’est marquer le festival d’une
empreinte politique forte. Habituellement, il s’agit de fictions
tournées dans des régions du monde généralement
en guerre ou subissant un régime dont la déclaration
des droits de l’homme est loin d’être le livre de chevet
des dirigeants. Bowling for Columbine n’est pas un
film venu d’Afghanistan, de Libye ou de Colombie mais des
Etats-Unis d’Amérique, la première puissance
mondiale, la référence des économistes,
le pays qui a envoyé le premier homme sur la Lune,
qui a libéré l’Europe de la Seconde Guerre Mondiale,
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Précisément
c’est le point de départ du rappel historique que nous
propose Michael Moore, au milieu de son film, sur la politique
étrangère américaine : il existe
toujours un ennemi à combattre. Lors de sa conférence
de presse, le réalisateur, a rappelé l’inquiétude
et la lassitude de nombreux américains qui souhaiteraient
que les dirigeants s’occupent un peu plus des problèmes
qu’ils rencontrent à vivre dans une société
où seule l’importance des profits compte au détriment
des salariés. Détourner l’attention du citoyen
vers l’action militaire du pays en Afghanistan ou en Irak,
ou ailleurs, est une constante aux USA. Pendant ce temps,
des milliers de gens sont licenciés : personne n'en
parle, sauf quelques agitateurs comme Michael Moore. Le raccourci
est flagrant et pourtant tellement vrai. Au pays de Mickey,
le rêve américain s’éloigne, les désillusions
sont nombreuses, alors que les entreprises continuent à
engranger des profits toujours plus élevés.
Si les licenciements sont plus fréquents au sein d’entreprises
qui prospèrent, c’est en parti dû à l’absence
d’un syndicalisme fort qui pourrait jouer le rôle de
contre poids (dans certains secteurs en tous cas).
Bowling for Columbine est
certainement le plus surprenant, le plus passionnant et le
plus instructif de tous les films documentaires présentés.
L’Amérique est un pays qui vit depuis quelques siècles
dans un sentiment de peur, où l’autodéfense
est semble-t-il un droit inscrit dans la constitution. Démission
de l’Etat, résultat : 240 millions d’armes circulent
aux USA. Sa fraîcheur et son audace ont valu à
ce film le prix du cinquante-cinquième festival de
Cannes, ce qui est vraiment mérité. Hasard du
calendrier, Georges W. Bush, qui considère que Michael
Moore représente un danger pour les Etats-Unis, se
trouvait ce jour-là à Paris.
UN
PORTRAIT DU PRODUCTEUR ROBERT EVANS
Un autre documentaire a
marqué le festival : The kid stays in the picture
de Brett Morgen et Nanette Burstein. Très classique
dans sa construction, ce film résume en 90 minutes
la carrière de Robert Evans, le directeur de production
de la Paramount des années 70 et 80. Adapté
de sa propre autobiographie, le film efface presque tous les
aspects négatifs de cette figure emblématique
de Hollywood. Sa relation à la drogue est évoquée
rapidement, alors que ses rapports avec la mafia sont absents.
Le fait que la voix off soit celle de Robert Evans et que
le texte soit écrit par ses soins, laisse peu de place
à une approche objective sur son parcours parfois chaotique.
Le film revient longuement sur ses rapports avec Polanski
et Coppola.
Quelques documents rares
sont montrés comme la déclaration qu’il enregistre
au préalable et projette ensuite aux patrons du studio,
basés à New York, pour leur expliquer pourquoi
il ne faut pas le virer. Robert Evans a très vite saisi
le rôle qui lui avait été confié
et a su marquer son temps par une approche passionnée
du métier.
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