Cette semaine est dédiée
à tous ceux, Palestiniens et Israéliens, qui chacun
à leur manière, dans leur refus, dans leurs actes
de tous les jours, dans leurs écrits ou dans leurs films
ont le courage de dire NON, non à la violence injustifiée,
non à l’humiliation de l’autre et OUI à la paix
et au droit d’exister dans la dignité.
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Au printemps de 1976, dans
le cadre du Festival International d’Art Contemporain de Royan,
dont j’assumais la direction de la section cinéma,
première plate forme en Europe consacrée au
Cinéma du Tiers Monde, je réussis à réunir
pour la toute première fois des cinéastes israéliens
et palestiniens oeuvrant pour la reconnaissance mutuelle des
deux peuples à vivre en paix côte à côte,
dans la perspective de deux états indépendants
et souverains. Cela répondait en moi à un besoin
irrépressible d’exprimer dans ma mentalité de
militante ma propre personnalité, fruit d’un parcours
complexe et difficile. Disons qu’au départ, c’est l’histoire
d’une toute petite fille confrontée brutalement à
l’injustice et à l’horreur, dont le plus grand traumatisme
à été la mort de ses parents en 1942.
Je me suis par la suite toujours sentie plus proche des humiliés
que des nantis. Ces simples données font de moi, avant
même tout choix personnel, le type de la " juive
selon Sartre " : je ne me sens rattachée
à la judéité ni par des liens religieux,
ni par des sentiments nationalistes ; je ne suis ni sioniste,
ni croyante, et cependant je me sens juive dans la mesure
où les juifs ont souvent constitué une minorité
type de par leur histoire. J’ai vécu dans mon être
physique et moral la réalité de cette appartenance
à une minorité. Je considère mon appartenance
à cette minorité comme une responsabilité
qui a dicté toute ma ligne de vie. Elle pouvait aboutir
à un choix d’essence nationaliste, dans ce cas le sionisme,
ou bien à une solidarité militante avec les
peuples opprimés du monde, que l’oppression soit ethnique,
sociale ou économique. C’est cette deuxième
voie qui s’est imposée à moi, démarche
cohérente pour la femme, la juive, la marxiste que
je suis. Je n’ai jamais varié sur mon refus de toute
structure étatique basée sur des notions de
race et de religion. Et toute injustice, l’ayant tant vécue
dans ma propre chair, m’est viscéralement insupportable.
Vingt-sept ans se sont écoulés depuis le festival
de Royan 1976. Loin de se détendre, la situation au
Moyen-Orient n’a fait que s’aggraver pour atteindre au paroxysme
de l’horreur depuis le début de l’Intifada El Aqsa.
Il est temps à travers le cinéma de réexaminer
le sujet, d’évaluer le chemin parcouru, la situation
présente et les perspectives. La matière est
abondante désormais des deux côtés, car
dans l’intervalle un véritable cinéma palestinien
a vu le jour, incluant également d’importants films
de fiction.
Les solutions permettant de mettre fin à un conflit
interminable sont, semble-t-il, plus éloignées
que jamais. Mais le titre de la manifestation que nous proposons
constitue à lui seul un cri d’espoir. Dominé,
humilié à chaque instant, le peuple palestinien
attend que nous soutenions sa volonté de dignité.
Occupant mais meurtri, le peuple israélien n’a pas
trouvé la paix.
Si nous voulons qu’ils vivent un avenir commun, il est urgent
d’ériger une résistance contre la folie qui
tue les deux peuples. Le cinéma peut les aider à
se connaître autrement qu’à travers le bruit
et la fureur. Une image peut être plus efficace, plus
éloquente et plus puissante que toute parole, même
si elle exige le commentaire de la parole afin que son sens
ne soit ni manipulé ni déformé.
Comme moyen de communication, de transmission de la connaissance
et de l’information, bref, comme témoignage, le cinéma
reste irremplaçable. Au moment d’écrire ces
lignes, tous les films palestiniens programmés sont
en notre possession. Mais en dehors de ceux qui vivent à
l’étranger, la présence de leurs réalisateurs
n’est pas encore assurée, car même ceux auxquels
les autorités israéliennes accorderaient un
visa de sortie vivent toujours dans la crainte que ces mêmes
autorités ne les laissent pas rentrer...
Du côté israélien, la situation logistique
est évidemment plus simple. Les films sont là,
et la présence de leurs réalisateurs, qu’ils
vivent en Israël ou à l’étranger, est assurée.
Si un véritable cinéma israélien existait
déjà en 1976 avec des bases matérielles
solides, la production s’est diversifiée, il existe
aujourd’hui des films de fiction et des documentaires qui
vont dans le sens de notre projet : vaincre l’obstacle
des murs de béton pour établir l’indispensable
communication qui aboutira à la paix entre les deux
peuples. Ajoutons pour finir un symptôme à notre
sens très encourageant, la présence dans certains
films tant palestiniens qu’israéliens, d’un humour
salutaire, corrosif mais réjouissant, et d’autre part
la permanence d’un dialogue entre citoyens des deux peuples
sur le plan individuel, que nulle force armée
ne peut arrêter tout à fait. Autant de fragiles
passerelles qui viennent s’ajouter au pont suspendu de pellicules
qui alimenteront cette semaine d’informations, d’échanges.
Pour donner à voir à l’horizon l’espoir
d’une paix auquel rien ne pourra nous faire renoncer.
Janine Halbreich-Euvrard
Paris, février 2003
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