Je viens d’assister à
une projection de " Cecil B. DeMented ",
une pochade réjouissante et une descente en flammes
vivifiante du système hollywoodien, où John
Waters incendie en règle les pontes des studios qui
tirent les ficelles des blockbusters que sont " Star
Wars " ou " Godzilla ". Waters
a imaginé un réalisateur complètement
frappadingue (interprété par Stephen Dorff),
hanté par des " visions " qu’il
pense être de génie, un metteur en scène
déjanté, qui s’imagine à la tête
d’une croisade menée contre le cinéma décérébrant
que déverse à flots l’industrie américaine,
et qui voue aux gémonies les cinéastes qui ont
vendu leur âme au business roi. Défendant à
outrance le cinéma indépendant pur et dur, ce
Cecil B. DeMented n’a qu’un credo : être prêt
à mourir pour réaliser le cinéma qui
renversera la culture pop corn.
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Dès lors, il n’est
guère étonnant que peu de réalisateurs
trouvent grâce à ses yeux ou aux yeux des membres
de son équipe. Waters a une trouvaille savoureuse pour
présenter ces rares rescapés des fourches caudines :
il fait défiler chacun des techniciens afin qu’ils
se présentent à l’actrice épouvantable
incarnée par Mélanie Griffith, véritable
monstre de suffisance auprès de laquelle les pires
caprices de nos chères stars passeraient pour d’innocents
enfantillages. Les uns après les autres, ils déclinent
leur fonction, leur identité et, par-dessus tout, leur
patronage spirituel, le Saint Réalisateur qui
a guidé leur âme et marqué leur chair
(leurs noms sont inscrits au fer rouge sur la peau de ces
guérilleros de la pellicule). Sont ainsi mentionnés,
entre autres, Otto Preminger, Samuel Fuller, Sam Peckinpah,
William Castle – une sorte de précurseur de Waters,
qui a réalisé des films d’horreur bon marché
à la pelle – et… David Lynch, dont le nom tatoué
est arboré par le décorateur afro-américain
de l’équipe. (1)
La manière dont le
nom de David est présenté est encore plus originale
que pour ses confrères bénis des dieux watersiens
(avouons que l’adjectif dérivé du nom Waters
ne représente pas un summum d’élégance,
bref…) En effet, à la manière de Bob Mitchum
serrant ses poings l’un contre l’autre pour faire apparaître
les mots LOVE et HATE dans " La nuit du chasseur ",
le technicien de " Cecil B. DeMented "
croise également les doigts pour que s’inscrivent les
noms et prénoms de David. Joli raccourci pour indiquer
que cette lutte, qu’évoquait le film grandiose de Charles
Laughton, figure parmi les thèmes majeurs abordés
par David dans son œuvre. Le combat éternel du Mal
et du Bien. Outre ce traitement de faveur, David bénéficie
d’un bis inattendu lorsque Ceci B. DeMented, ayant cette fois
intégralement fondu un fusible, se voit déjà
comme le plus grand réalisateur de l’Histoire, capable
de mettre en scène des films plus noirs et plus étranges
que ceux de David Lynch. Vouloir surpasser le " Tsar
du Bizarre ", comme l’avait surnommé le Times
en 1990, rien que ça… On peut accepter des boursouflures
d’ego intempestives, mais tout de même…
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Gageons que David
Lynch, s’il a eu connaissance de ces quelques scènes,
a été sensible à l’hommage rendu en guise
de clin d’œil par un de ses pairs, qui appartient à
la même génération que lui et qui, à
son instar, n’a jamais piétiné ni même
daigné regarder les plates-bandes envahies par un troupeau
de réalisateurs américains friands de succès
faciles et de dollars promptement palpés.
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(1) Les autres
rares élus qui échappent aux
foudres de John Waters sont Andy Warhol, Rainer
Werner Fassbinder, Pedro Almodovar, Spike Lee, le
réalisateur américain underground
Kenneth Anger et Herschell Gordon Lewis, cinéaste
avant tout connu pour Two thousand maniacs !,
remake gore du Brigadoon de Minnelli.
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