" Je dois tellement à
Sergio Leone. C'est lui qui m'a découvert entre plusieurs
jeunes et m'a proposé de travailler sur le script d'Il
était une fois dans l'Ouest. " Nous sommes
en 1967. Dario Argento rêve peut-être déjà
de tuer des femmes à l'arme blanche, mais il n'est encore
que critique de cinéma. L'offre de Leone lui permet d'entrer
à Cinecittà par la grande porte. Le cinéaste
vient alors de terminer la trilogie des dollars (sur
les dernières heures de l'Ouest) et s'apprête à
entamer celle des Il était une fois
(sur
l'entrée de l'Amérique dans l'ère moderne).
" Je voulais avoir la certitude d'aborder quelque
chose de neuf. Pas question de reprendre mes anciens scénaristes.
J'ai demandé à Dario Argento et à Bernardo
Bertolucci de venir m'épauler pour l'élaboration
du sujet. " Bertolucci a fait parler de lui en
réalisant La Commare seca (1962) et Prima della
rivoluzione (1964). Lui et Argento se connaissent déjà,
tout se présente donc pour le mieux.
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" Nous nous sommes réunis
tous les trois, raconte Leone, et nous avons commencé
à rêver ensemble. Très vite, Dario Argento
s'est senti dépassé. Bernardo et moi ne cessions
plus de nous référer au cinéma américain
que nous adorions. Et tout est devenu comme un match de tennis
entre lui et moi. Argento restait spectateur, juste là
pour suivre les échanges. Il était de bon conseil
et, surtout, de bonne compagnie. " La légende
en prend un sacré coup ! Du statut de co-scénariste
d'un western mythique, Argento passe à celui d'observateur.
Ce que confirme Sergio Donati, responsable du découpage
du film avec Leone : " Dario Argento ne
connaît même pas la couleur de la couverture du
scénario, tout simplement parce qu'il ne l'a jamais
vue. " Il est vrai qu'à ce stade de la confection
d'une histoire, Leone n'écrit rien. " Ce
ne sont que des conversations au cours desquelles je me fais
toujours l'avocat du diable. Je ne veux rien rédiger.
Je craindrais d'être satisfait en me relisant. Je préfère
avoir la liberté de tout remettre en question avant
la touche finale. "
Il serait cependant exagéré
de penser que la patte d'Argento est totalement absente de
Il était une fois dans l'Ouest, comme le confirme
l'intéressé : " Vous savez,
lorsqu'on écrit un film à trois, les apports
sont multiples, les idées circulent et sont reprises
puis modifiées. Cela dit, je me rappelle que tout le
début du film, la séquence dans la gare, l'attente
du train, la mouche, la goutte d'eau, provenaient essentiellement
de moi. L'idée de la mouche m'amusait comme une sorte
d'inversion de l'idée selon laquelle le tireur dans
un western est plus rapide que la mouche. Il y a bien sûr
d'autres scènes, mais c'est surtout de ces petits détails
dont je me souviens. "
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Sergio Donati (crédité au
générique comme co-scénariste avec
Sergio Leone), s'est senti floué par l'attitude de
l'auteur de Suspiria. " Durant ces trente
dernières années, à chaque fois qu'on
l'interviewait sur le sujet, il semblait ne pas connaître
la différence entre une histoire et un scénario
et tentait de s'attribuer le mérite de mon travail.
Je lui ai envoyé mon avocat, j'ai reçu des
excuses, etc. " Pour lui, la raison de ce
comportement est simple : " Argento a
eu beaucoup de succès en tant que réalisateur
de films d'horreur. Mais avant cela, il n'avait pas brillé
comme scénariste. Il sait qu'il peut relancer sa
carrière en revendiquant ce qui m'appartient. "
Ces considérations relèvent plus de la querelle
de personnes que de l'objectivité pure, Argento étant
l'objet d'un culte que sa participation effective ou non
à Il était une fois dans l'Ouest ne
viendra pas remettre en cause. De plus, il n'a certainement
pas à rougir du scénario de Commandos
d'Armando Crispino, un film de guerre antimilitariste écrit
en 1969.
L'année suivante, Dario Argento se jettera à
l'eau en réalisant L'Oiseau au plumage de cristal.
Un coup de maître.
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Les propos cités dans l'article sont extraits
de Starfix (n°3-octobre 1998), Conversation
avec Sergio Leone par Noël Simsolo (Editions
Stock, 1987) et Blood, Money and Vengeance
(Issue six).
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