Dans un monde où l’on dit volontiers
« je vois » pour « je comprends », dans
une profession où dominent des discours empiriques validant
les usages habituels (« ça marche ») et disqualifiant
les écarts à la norme (« ça ne marche pas »), tenter
une approche rationnelle de la bande son impose d’aller à
contre-courant.
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Il s’agit de se défaire d’abord de
la prééminence donnée à la vision pour redonner sa juste place
à l’écoute. Il devient possible à partir de là de s’exercer
à l’écoute des films, pour constater qu’elle pèse largement
dans la formation du film imaginaire qui se projette sur l’écran
mental du spectateur, sur son imaginaire, où se visualisent
les hors-champs suggérés. La composition de l’espace sonore
agit simultanément sur l’enrichissement du visible (le in)
et sur la construction de l’invisible (le off) dans
« l’autre scène » de l’imaginaire spectatoriel.
Cette approche conduit à exclure l’autonomisation de la bande
son au cinéma, pour l’envisager nécessairement dans son interaction
avec l’image. Les usages habituels et dominants du synchronisme,
de l’adéquation entre point de vue et point d’écoute, peuvent
être aisément mis en évidence par l’étude de séquences qui
dérogent à leur règle.
A travers des exemples d’a-synchronisme, avec par exemple
le film d’Abel Gance Un grand amour de Beethoven (1936),
de décalage entre point de vue et point d’écoute (Le vent
nous emportera, Abbas Kiarostami, 1999), d’écart temporel
entre le moment diégétique du son et celui de l’image (Made
in USA de Jean-Luc Godard, 1967) ou de focalisation sonore
sur un personnage (Que le spectacle commence, de Bob
Fosse, 1979), il est possible de désigner la règle par ses
écarts, tout en valorisant l’audace d’esthétiques minoritaires.
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