ENFANCE ET CASCADES
Jean Marais : Etant
enfant, je faisais déjà des cascades dans la
cour du collège ; j'étais un espèce
de monstre : j'emmerdais les pions en courant à
toute vitesse, je me faisais un croche-pied, je partais en
l'air et retombais dans les pieds du pion que je n'aimais
pas ; il tombait à son tour et ne pensait pas
du tout que je l'avais fait exprès ! Je tombais
aussi à la renverse dans un escalier, je faisais semblant
de m'évanouir devant les copains, qui étaient
au courant, contrairement aux pions !
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J'avais des héros qui m'ont donné
le goût du cinéma et du théâtre,
notamment Pearl White, une actrice qui jouait dans Les
Mystères de New-York, le premier film que j'ai
vu, à quatre ans ! Cette actrice faisait des
cascades dans ses films. Je l'ai rencontré à
la fin de sa vie - elle a vécu ses derniers jours
à Paris, avenue Henri Martin -, elle m'a alors avoué
qu'elle avait été doublée et qu'elle
n'avait tourné que les gros plans de ces cascades
qui m'avaient fait rêver ! J'avais alors été
très déçu !
C'est au théâtre que j'ai effectué ma
première " cascade ": dans Les
Parents terribles où je tombais évanoui,
mais ce n'est pas une grande cascade !
LA BELLE ET LA BÊTE
Jean Marais : J'ai eu l'idée
du film. Jean Cocteau avait écrit une pièce
dont il cherchait le titre : il hésitait entre
La mort écoute aux portes, Azraël ou
l'Ange de la mort et La belle et la bête.
Je lui ai demandé de ne pas choisir ce dernier titre,
car je rêvais de tourner l'histoire de La belle
et la bête (ndlr : la pièce de Cocteau
s'appellera finalement L'Aigle à deux têtes).
Cocteau a ensuite écrit le scénario. Je ne
voyais pas la bête comme l'a conçue Christian
Bérard. Je la voyais plutôt comme un cerf,
avec ses bois sur la tête, mais Bérard m'a
dit (et il avait raison), que la bête devait être
carnivore : on ne lui a donc pas mis les bois sur la
tête ! (...) Le tournage a été
extraordinaire ! Cocteau a été vraiment
un héros parce qu'il avait des maladies de peaux
et tournait malgré tout avec bonne humeur. Il était
obligé d'attacher un papier noir à un chapeau,
avec des épingles à linge, en faisant deux
trous pour voir, parce que les arcs lui faisaient mal ;
il ne pouvait plus se raser, et me disait : tu vois,
le Bon Dieu me punit : comme je t'ai couvert de poils,
il me couvre de poils aussi ! Il était formidable,
racontait toujours des histoires drôles pour mettre
tout le monde de bonne humeur. C'était une période
difficile parce qu'on tournait souvent la nuit, autrement
on n'avait pas d'électricité : on était
en 1945 et il y avait encore des restrictions. (...) Le
tournage a été interrompu à cause la
maladie de Cocteau : son médecin m'a téléphoné
en me disant que s'il n'arrêtait pas le tournage pour
être hospitalisé dans une cage de verre, il
risquait de mourir d'un empoisonnement du sang dans les
48 heures. Je ne savais pas comment il allait accepter cela,
mais il était tellement fatigué qu'il a accepté
d'interrompre le tournage pour 15 jours. Il a été
sauvé de la mort, mais n'était pas guéri
pour autant... (...) Quand Cocteau a découvert Raray,
il est tombé amoureux du parc et surtout de la chasse
à courre en pierre, à l'entrée du château.
La famille Labédoyère, à qui appartenait
le château, ne voulait pas entendre parler de cinéma.
Cocteau était désespéré et ils
ont finalement accepté de louer le parc à
800 000 francs par jour ! Argent qu'ils ont donné
à des oeuvres. C'était tout de même
très cher pour le film mais Cocteau a accepté
car il ne pouvait pas imaginer ne pas tourner là.
En dehors du fait qu'ils n'aimaient pas les gens de cinéma,
les Labédoyère avaient honte que leur parc
ne soit pas entretenu, mais c'est ça qu'aimait Cocteau !
Le parc en désordre ! Finalement ils nous ont
adoré et nous ont souvent invité à
déjeuner.