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JEAN MARAIS
Comédien
Entretien réalisé en novembre 1993
Par Bernard PAYEN
 

ENFANCE ET CASCADES

Jean Marais : Etant enfant, je faisais déjà des cascades dans la cour du collège ; j'étais un espèce de monstre : j'emmerdais les pions en courant à toute vitesse, je me faisais un croche-pied, je partais en l'air et retombais dans les pieds du pion que je n'aimais pas ; il tombait à son tour et ne pensait pas du tout que je l'avais fait exprès ! Je tombais aussi à la renverse dans un escalier, je faisais semblant de m'évanouir devant les copains, qui étaient au courant, contrairement aux pions !
  Objectif Cinéma (c) D.R.

J'avais des héros qui m'ont donné le goût du cinéma et du théâtre, notamment Pearl White, une actrice qui jouait dans Les Mystères de New-York, le premier film que j'ai vu, à quatre ans ! Cette actrice faisait des cascades dans ses films. Je l'ai rencontré à la fin de sa vie - elle a vécu ses derniers jours à Paris, avenue Henri Martin -, elle m'a alors avoué qu'elle avait été doublée et qu'elle n'avait tourné que les gros plans de ces cascades qui m'avaient fait rêver ! J'avais alors été très déçu !

C'est au théâtre que j'ai effectué ma première " cascade ": dans Les Parents terribles où je tombais évanoui, mais ce n'est pas une grande cascade !


LA BELLE ET LA BÊTE

Jean Marais : J'ai eu l'idée du film. Jean Cocteau avait écrit une pièce dont il cherchait le titre : il hésitait entre La mort écoute aux portes, Azraël ou l'Ange de la mort et La belle et la bête. Je lui ai demandé de ne pas choisir ce dernier titre, car je rêvais de tourner l'histoire de La belle et la bête (ndlr : la pièce de Cocteau s'appellera finalement L'Aigle à deux têtes). Cocteau a ensuite écrit le scénario. Je ne voyais pas la bête comme l'a conçue Christian Bérard. Je la voyais plutôt comme un cerf, avec ses bois sur la tête, mais Bérard m'a dit (et il avait raison), que la bête devait être carnivore : on ne lui a donc pas mis les bois sur la tête ! (...) Le tournage a été extraordinaire ! Cocteau a été vraiment un héros parce qu'il avait des maladies de peaux et tournait malgré tout avec bonne humeur. Il était obligé d'attacher un papier noir à un chapeau, avec des épingles à linge, en faisant deux trous pour voir, parce que les arcs lui faisaient mal ; il ne pouvait plus se raser, et me disait : tu vois, le Bon Dieu me punit : comme je t'ai couvert de poils, il me couvre de poils aussi ! Il était formidable, racontait toujours des histoires drôles pour mettre tout le monde de bonne humeur. C'était une période difficile parce qu'on tournait souvent la nuit, autrement on n'avait pas d'électricité : on était en 1945 et il y avait encore des restrictions. (...) Le tournage a été interrompu à cause la maladie de Cocteau : son médecin m'a téléphoné en me disant que s'il n'arrêtait pas le tournage pour être hospitalisé dans une cage de verre, il risquait de mourir d'un empoisonnement du sang dans les 48 heures. Je ne savais pas comment il allait accepter cela, mais il était tellement fatigué qu'il a accepté d'interrompre le tournage pour 15 jours. Il a été sauvé de la mort, mais n'était pas guéri pour autant... (...) Quand Cocteau a découvert Raray, il est tombé amoureux du parc et surtout de la chasse à courre en pierre, à l'entrée du château. La famille Labédoyère, à qui appartenait le château, ne voulait pas entendre parler de cinéma. Cocteau était désespéré et ils ont finalement accepté de louer le parc à 800 000 francs par jour ! Argent qu'ils ont donné à des oeuvres. C'était tout de même très cher pour le film mais Cocteau a accepté car il ne pouvait pas imaginer ne pas tourner là. En dehors du fait qu'ils n'aimaient pas les gens de cinéma, les Labédoyère avaient honte que leur parc ne soit pas entretenu, mais c'est ça qu'aimait Cocteau ! Le parc en désordre ! Finalement ils nous ont adoré et nous ont souvent invité à déjeuner.