Rencontré en février
1993, Patrick Brion, programmateur des films diffusés
sur France 3, répondait à la question d'objectif
cinéma :
" Le cinéma américain
est-il selon vous un cinéma politique ? "
Patrick Brion :"
Les Américains ont une force fantastique, un mélange
qui leur permet d'aborder tous les problèmes : mélange
de boy-scoutisme, d'idéal démocratique réel,
d'inconscience et de naïveté, d'opportunisme, d'idéal
rooseveltien... Ils n'ont aucune gêne à parler
de quoi que ce soit. C'est un pays réformiste, contrairement
à la France qui cache ses tares. Aux Etats-Unis, on se
dit que pour améliorer les choses, il faut en parler,
faire des films. C'est peut-être opportuniste, mais il
reste l'idée qu'on peut améliorer les choses en
les disant. C'est un cinéma qui aborde les thèmes
politiques avec une franchise étonnante.
Les années Reagan, ce fut surtout la justification,
la prise de conscience que les premiers soldats rentrés
du Vietnam, des volontaires qui ont vécu dans un véritable
enfer, ont fait ce qu'on leur a dit, et se sont fait insulter
en revenant chez eux, par des gens qui étaient restés
tranquillement dans leur pays. (...)
Il y a eu un moment où l'administration
américaine avait des liens précis avec la
production cinématographique : la manière
par exemple dont les films de la Warner (y compris les comédies
musicales) ont épousé les thèses de
Roosevelt est absolument fascinante. Maintenant, les grandes
firmes sont moins puissantes, mais il peut y avoir des coups
isolés...
Reagan a réhabilité les combattants du Vietnam.
C'était justifié, mais il est curieux qu'il
ait fallu l'attendre pour le faire. Il y a eu une période
où il a fallu exorciser la guerre.
Contrairement aux Français, les Américains
n'ont aucun problème à faire apparaître
leurs présidents dans leurs films (cf Gabriel over
the white house de Gregory La Cava). Ils ont toujours parlé
plus librement de thèmes comme le racisme ou l'antisémitisme.
Au moment où le maccarthysme est
apparu, une terrible chape de plomb s'est abattu sur le cinéma
américain. Il y eut des conséquences tragiques
(suicides, etc). Mais il y eut alors dans la production cinématographique
une douzaine de films anticommunistes ringards, tournés
manifestement pour faire plaisir à MacCarthy, et à
côté, 50 films qui exaltaient la liberté
de la presse, la liberté syndicale, et incitaient à
l'antiracisme. Ces films étaient tournés dans
les grandes firmes. Même si certains auteurs (Losey,
Dassin, Berry) ont été obligés de fuir,
tous les autres ont continué à écrire.
Il y a eu une fracture de certains groupes dans l'industrie
américaine, mais cela n'a pas abouti à une production
sclérosée.
Si l'on compare le cinéma
américain des années 50 et le cinéma
français de la même époque, on s'aperçoit
que ce dernier est désincarné, qu'il ne parle
d'aucun problème. Le cinéma américain
est ancré dans la réalité : on tourne
" tant qu'il y aura des hommes " en pleine guerre
de Corée alors que le film est antimilitariste !
Les Américains font des films sur des guerres qui
ne nous concernent pas (ex : " Platoon " d'Oliver
Stone), mais qui triomphent néanmoins à l'extérieur
des Etats-Unis. Ils ont le don moderne de toucher les gens,
notamment une clientèle jeune qui se rend majoritairement
au cinéma et qui trouve une production loin d'être
exceptionnelle, mais qui parle de certains problèmes,
contrairement au nôtre. Quand le cinéma américain
parlait de l'antisémitisme ou du racisme, on tournait
en France des vaudevilles ! "