Objectif Cinéma : Hervé
Icovic, vous êtes directeur de plateau, directeur artistique,
mais quel est le cheminement pour en arriver là ?
Cela tient-il davantage d'une vocation, d'un hasard de parcours,
d'une bifurcation ?
Hervé Icovic : En
ce qui me concerne, c'est un hasard. Au départ, je
suis comédien, je suis venu au doublage en le découvrant
sur le terrain. Mais ce que je faisais ne me plaisait pas
vraiment. Quand j'étais acteur de doublage, on me demandait
juste d'être synchrone, d'être plus rapide ici,
plus lent là, mais il n'y avait pas de personne habilitée
à faire ça entièrement. Cette direction
d'acteurs n'était pas celle que j'attendais. C'est
pourquoi j'ai créé cette société,
Alter Ego, il y a dix ans, on a essayé d'innover, de
prendre les choses de façon différente. Je crois
que le problème de base du doublage c'est son nom même.
Le doublage sous-entend le concept de doublure, comme s'il
y avait un vrai et un faux. Ce n'est pas ça :
la version française n'est pas un " faux "
de la version originale. C'est une autre version, une autre
création.
Pour faire une version française, il ne faut surtout
pas avoir peur de trahir la version originale, c'est comme
la traduction d'un livre. En règle générale,
on sous-entend que c'est une photocopie, le directeur d'acteurs
et les comédiens reviennent à l'original :
" Il a fait ça comme ça, alors
on va faire pareil " C'est stupide, ça
ne sert à rien de reproduire les mêmes choses.
La seule chose qui compte, c'est la vérité de
l'acteur. Si l'acteur copie, il n'a plus de vérité,
et le spectateur ne ressent pas l'émotion qu'il devrait
ressentir. Le doublage de Dancer in the dark a été
vraiment difficile d'un point de vue strictement artistique.
Si on nous a dit que la version française était
bonne malgré tout, c'est grâce aux comédiens,
et parce que nous sommes allés chercher très
loin pour restituer l'émotion.
Objectif Cinéma : Comment
avez-vous fait travailler l'actrice française par rapport
à Björk ?
Hervé Icovic : Je
l'ai fait travailler surtout par rapport à elle !
Je dirige comme sur un plateau, il n'y a pas de différence.
Pas de différence technique même. La technique
se travaille dans l'écriture, et se trouve évidemment
dans le synchronisme avec l'image, mais il ne faut surtout
pas se focaliser sur ce point, car on doit laisser une marge
de liberté au comédien de doublage pour qu'il
trouve sa vérité. Il ne faut pas faire passer
la technique du doublage avant, il est préférable
d'essayer de réfléchir d'abord par soi-même
à la situation sur l'écran, et ensuite de s'adapter
pour être synchrone.
Objectif Cinéma : Il
y a donc un travail d'invention, de création.
Hervé Icovic : Oui,
totalement. La version doublée est une autre version
originale d'une certaine manière, mais adaptée
au pays en question. Nous avons aussi notre part de création.
Objectif Cinéma : N'y
a t-il pas aussi un problème de reconnaissance ?
Hervé Icovic : Dans
un certain sens, notre métier, c'est vrai, est mal
connu, donc parfois mal apprécié. Et puis il
y a les versions originales sous-titrées qui sont aussi
des formes de doublage, mais la barrière de l'image
subsiste : il est difficile de lire en bas de l'écran,
tout en savourant l'image complète. Et l'on perd une
certaine partie de la traduction aussi avec l'écrit,
car le problème de place dans l'image reste toujours
le même. C'est aussi ardu à faire que le doublage
oral.
Objectif Cinéma : Faire
du doublage n'est pas une vocation apparemment, c'est donc
un travail à part et assez difficile qu'on rencontre
sur notre chemin.
Frédérique Liebaut
(associée de Hervé Icovic) : C'est
vrai, c'est rare qu'on se dise un jour " Tiens
je vais faire du doublage ! ", en général
ça ne fonctionne pas comme ça, les gens n'arrivent
pas ici de cette manière. C'est plutôt une
question de parcours personnel : on veut faire du cinéma,
on se spécialise dans le montage par exemple, et
par le biais de rencontres, on découvre le domaine
du doublage. C'est après qu'on se rend compte que
le doublage comporte lui-même beaucoup d'aspects :
détection, traduction, adaptation, etc.