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AKI KAURISMAKI
Leçons de Cinéma
Entretien réalisé à Cannes
Par Raphaël LEFEVRE
de l’équipe de Cinélycée.com


Du 18 au 27 janvier 2002, s’est déroulée à Angers la 14e édition du festival Premiers Plans. Outre les premiers films et les films d’écoles, le festival proposait trois intégrales passionnantes. Il y avait celle de Pialat, celles de l’espagnol Victor Erice, réalisateur rarissime qui n’a tourné que trois films, dont le magnifique L’Esprit de la ruche avec Ana Torrent (la petite fille de Cría Cuervos, devenue grande dans Tesis), et celle d’Aki Kaurismäki, étonnant réalisateur qui, avec son frère Mika, semble être l’unique ambassadeur du 7e art finlandais - du moins cela semblait-il être le cas jusqu’au splendide Sept chants de la toundra

A l’occasion du 55 éme Festival de Cannes, où son dernier film L'Homme sans passé est présenté en compétition, intéressons-nous de plus près à cet énergumène aussi humble que présomptueux, qui prétend ne faire dans ses films que copier ses maîtres, mais dont le tout premier film était tout de même une adaptation de Crime et Châtiment



  L'Homme sans passé (c) D.R.

Cinéphile jusqu’à la moelle (il cite, en vrac : Tati, Renoir, la Nouvelle Vague, Leone, Peckinpah, Fuller, Kurosawa, Sirk, Stroheim, Murnau, Buñuel…), Kaurismäki a développé un style minimaliste très proche de son grand maître, Bresson. Si l’on devait à tout prix classer cet ovni scandinave, je le comparerais volontiers à Wenders, Jarmusch et autres fans de rock indépendant et francophiles – Jarmusch fait d’ailleurs une apparition dans l’hilarant Leningrad Cowboys go America. Chacun de ses films est empreint d’une ou plusieurs influences cinéphiliques. Mais s’il prétend ne faire que des films "à la manière de", Kaurismäki rend bien plus des hommages qu’il ne pastiche. Il commence sa carrière en écrivant le film de fin d’études de son frère Mika, Le Menteur, véritable déclaration d’amour à la Nouvelle Vague dans laquelle il joue un jeune finlandais libre qui ment pour échapper à toute contrainte, tente d’écrire un bouquin, se prend pour un bandit de La Horde sauvage, discute existentialisme… Le film cite A bout de souffle et Les Quatre cents coups, et Aki va jusqu’à imiter de manière confondante l’apparence et le jeu de Jean-Pierre Léaud, son idole. Autres hommages, entre autres : avec La Jeune fille aux allumettes, il dit avoir fait "un roman Harlequin à la Bresson", et Juha, dernier film muet du XX° siècle, évoque beaucoup L’Aurore de Murnau.


Lors de sa leçon de cinéma, Kaurismäki, irrésistible pince-sans-rire, nous a livré avec humour quelques clés sur son travail. Son cinéma est celui de la dignité. "Parce qu’on peut tricher avec les autres, mais pas avec soi-même, dit-il. Et nous n’avons rien à perdre, sinon notre amour propre." Kaurismäki s’intéresse particulièrement aux petites gens, humbles mais dignes. Parce que la vie des pauvres est à ses yeux plus dramatique et cinématographique que celle des riches, qui est lassante et plate, et parce qu’il considère qu’on doit parler de ce qu’on connaît – or il n’est pas riche. Avant de faire des films, il est passé par une infinité de petits boulots, de journaliste estival à plongeur dans les restaurants. C’est dans tous ces métiers et les rencontres qu’ils ont suscitées, que Kaurismäki a puisé la matière de ses films. "Mais aujourd’hui, c’est épuisé. Il va falloir que je fasse de nouvelles rencontres : mes scénarios s’enrichissent de mes rencontres et des petites histoires que je vis. Sinon j’arrête le cinéma et je me remets à la vaisselle… Je fais bien la vaisselle. Moins bien qu’à vingt ans, mais bien quand même ! "