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Objectif Cinéma :
Il y a un cinéaste japonais que l’on
connaît bien à Paris, Shinya Tsukamoto, qui a exploré à sa
manière ce thème de la mutilation, des expériences limites
du corps. Vous connaissez ?
Marina de Van : Que de nom. Mais je dois vous
dire que dans la préparation du film, j'ai évité toute recherche
visuelle, de références, autour de mon thème. Je n'aurais
pas pu négocier un surcroît d'information qui aurait pu modifier
ma direction. Je n'ai rien lu, rien vu pendant l'écriture
et la préparation du film. Très naïve ! Par exemple,
ma directrice de casting me disait « Tu devrais voir
le travail de l'artiste Gina Pane », qui fut une
grande figure du body art. Je lui répondais « oui
oui oui », mais je ne voulais farouchement pas!
Il y a eu une exception, j'ai vu le film Sick, de l'artiste
Bob Flannagan, performance, body art, mutilations, tout en
faisant le portrait de sa maladie. C'est ce côté humain, personnel
dans ce film qui m'a touchée, qui m'a fait réfléchir.
Objectif Cinéma : Votre
film semble également jouer sur le thème de la critique sociale,
c'est-à-dire que le personnage que vous incarnez évolue à
l'intérieur d'un environnement aseptisé, clinique. Des jeunes
cadres dynamiques, sans prise de risque, des bureaux propres
et stériles, où l'on ressent de moins en moins de choses.
Elle entreprend ainsi cette quête qui la mènera à ressentir
à nouveau, autrement, son corps.
Marina de Van :
Oui oui, vous avez raison. Je voulais par contre éviter une
caricature du monde du travail qui est simple à faire. Les
autres personnages, les collègues de travail, ne sont pas
spécialement antipathiques, ils sont simplement ambitieux,
se sont tournés vers des choix qui vont de soi, la réussite,
etc. Tous se projettent dans l'ambition, vouloir un bel appartement...
Et la matière du corps se perd, on se demande ou se trouve
la part physique de leur vie.
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Objectif Cinéma :
Vous aviez un... découpage précis
pour ces séquences de mutilation?
Marina de Van :
Absolument, je l'ai fait et refait. Et même dans le scénario,
je décrivais minutieusement chacune de ces scènes. Le précadrage,
le rapport de proximité... Et en tant que metteur en scène,
je n'ai aucun goût pour l'improvisation. J'ai dessiné, photographié,
pré-filmé en vidéo, j'ai fait une mise en place des objets...
la totale! C'était aussi nécessaire dans mes rapports à
l'équipe, de les rassurer à ce niveau-là, que tout était
prévu, calculé, que les techniciens n'allaient pas vraiment
assister à un tel spectacle, que je n'allais pas vraiment
me blesser...
Objectif Cinéma : Pourtant
des gens ont cru que vous le faisiez vraiment.
Marina de Van :
Dans ma vie privée ou dans le film ?? Non non, tout ça c'étaient
des effets spéciaux. D'ailleurs ils étaient indispensables
pour une autre raison : je voulais avoir une liberté complète
d'action, de mouvement dans mes gestes, sans avoir à penser
à me protéger, sans peur de vraiment me blesser, bien que
je n'aie pas peur des couteaux. Je portais des prothèses
pratiquement pour toutes ces scènes. Je ne voulais que
personne n'ait peur sur le tournage, notamment mes frères
qui étaient toujours présents, surtout mon petit frère qui
veillait sur tout ! Par ailleurs, toute cette concentration
m'occupait tant l'esprit qu'il devint nécessaire de travailler
en collaboration avec un directeur de comédiens, qui pouvait
juger mon jeu, car je n'avais plus joué depuis mes collaborations
avec François Ozon. Et je me trouvais devant d'excellents
comédiens, comme Laurent Lucas. J'avais très peur, et ce
directeur de comédiens venait 2/3 jours par semaine.