Rédiger une biographie
n’est pas chose aisée, d’autant plus quand il ne s’agit
pas de la sienne. Ecrire pour un autre, pour la mémoire
d’un autre, relève d’une gageure morale et humaine :
entre le souci de la chronologie, de l’authenticité
des souvenirs et l’éventuel parti pris qui s’offre
au rédacteur, le pas est vite franchi. David Lelait
a su s’en garder, car cet autre, c’est Romy Schneider.
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Dans l’écriture,
le centre d’intérêt, hormis le plaisir de l’imagination
et le travail du style, c’est la narratalogie, à savoir
le point de vue du ou des narrateur(s). Si l’on s’aventurait
à comparer deux biographies de Romy Schneider parmi
tant d’autres, on verrait que dans l’une, la parole est laissée
à l’actrice, alors que dans l’autre, on lui impose
des pensées qu’elle n’a peut-être pas eues, en
un mot, on suppute. Cette autre biographie s’intitule tout
simplement " Romy ", rédigée
par Catherine Hermary-Vieille. Connue pour ses premiers romans
bardés de prix littéraires, elle a voulu faire
revivre la figure de Romy Schneider au corps défendant
et absent de celle-ci. Pourvu de qualités évidentes,
son texte présente néanmoins des digressions
romanesques tendant à l’affabulation emphatique, qui
fait de la vie de Romy une fable obscure, dure, violente.
Pire qu’une fable de cet acabit, un film noir.
Or, la vie de Romy Schneider
a été et restera une vie, pas autre chose. Une
vie composée de films, de pièces de théâtre
aussi, de joies et de peines, de jours et de nuits, de rencontres
et de ruptures. C’est ce qu’a respecté David Lelait :
l’exactitude et l’humilité du biographe. Le lyrisme,
s’il y en est dans ce genre, peut servir le récit mais
n’a pas à fausser son propos. Laissons à Romy
ce qui lui appartient. Chaque vie est un mystère, et
le but du biographe est de fleurir ce mystère, non
de l’extrapoler. La parole est donc à la " personne
racontée ", ici : par exemple, astucieuse
est l’idée de mettre en exergue de chaque chapitre
une parole de Romy Schneider, au lieu de lui prêter,
au fil de la narration chez Hermary-Vieille, des monologues
intérieurs parfois trop personnalisés.
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David Lelait, lui, sait
s’effacer au profit de son propos. Ainsi la construction de
son texte a le tact et la sincérité que l’actrice
aurait aimé voir régner dans les relations humaines.
Il y a de la vérité simple et nue aussi :
le premier chapitre porte en exergue un conseil de Max Reinhardt
aux comédiens : " Surtout gardez
votre enfance, mettez-la dans votre poche avec votre mouchoir
par-dessus et emportez-la toujours avec vous ".
La vie de Romy Schneider, comme toutes les autres d’ailleurs,
se résume en ce " Rosebud ", ce
mot de passe pour l’éternité d’une existence
ici-bas. L’enfance, telle une pierre angulaire où se
raccrocher, où s’écorcher, vif ou vive. L’enfance
et l’adolescence surtout, qu’elle n’a pas vraiment vécu
à cause de Sissi, dont elle portera l’ombre de la malédiction
toute sa vie, malgré l’écoulement des jours
au quotidien qui est censé modérer, pondérer
les vagues de fond qui peuvent noyer l’âme en elle-même.
Peut-être ne voulait-elle pas donner crédit à
ce semblant de malédiction, car la vie n’en est pas
une. Ce que vous font les autres peut en relever, mais libre
à chacun de contrer les mauvais sorts.
L’actrice aura lutté
et contré éperdument, jusqu’à la perdition
finale, celle de son fils et de sa propre image. Le cinéma
lui aura volé l’image de sa vie à défaut
de lui en rendre une vivable, viable. Mais comment la fiction
peut-elle rendre à la réalité ce qu’elle
lui a volé ? Et surtout comment rendre ce qu’elle
ne lui a pas pris ? La sobriété stylistique
de David Lelait donne le ton face aux fulgurances qui dessinaient
le destin de Romy Schneider, une sobriété qui
donne tout son éclat à la force vitale de l’actrice,
force allant de la générosité la plus
avenante aux colères les plus farouches. Et c’est étrange
comme une autre figure résonne avec l’absente du 29
mai 1982 : Patrick Dewaere, disparu le 16 juillet de
la même année. Une figure analogue, déclinée
au masculin, filant parallèle vers le même exutoire.
Vingt ans sans eux, et avec eux pourtant. Leur image aura
été aussi forte que leur personne, et cette
adéquation peut aussi bien en apprendre beaucoup à
la nouvelle génération d’acteurs que forcer
l’admiration de chacun. Le message est radicalement lucide :
respecter la valeur intrinsèque de la vie, parfois
perdue entre fictions, fantasmes et réalités.
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Titre :
Romy au fil de la vie
Auteur :
David Lelait
Editeur :
Editions Payot
Collection :
Documents Payot
Illustrations :
couleur
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