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L’une chante, l’autre pas.
Jeune fille et figure morale par excellence, Anaïs s’ennuie
dans le monde formaté qu’on lui propose (impose). Elle
s’ennuie et elle le chante. L’occasion de retrouver avec bonheur
les ritournelles de l’auteur (voir Une Vraie Jeune Fille,
Tapage Nocturne), elles aussi vertigineuses dans leur
mélange de noirceur et de légèreté.
C’est une réelle marque de fabrication du cinéma
de Catherine Breillat. On pourrait reconstituer l’esprit d’une
époque et d’un monde par la compilation des titres
(inconnus ou populaires) glanés ici et là dans
chacun de ses films, parfois au prix d’un effort immense tant
certains morceaux viennent de loin et n’arrivent que subrepticement.
Cette façon de traverser le spectateur par le simple
fait de ces éléments qui traversent le film
l’air de rien, c’est le style Breillat. Il faut tendre
l’oreille et ouvrir l’œil face à son observation en
sourdine où les regards, les silences, les hésitations
comme les chansons révèlent autant que ce qui
se dit. Chanter l’ennui ou être grosse et bien dans
sa peau, c’est exister bien au-delà du tolérable
pour l’entourage d’Anaïs, coincée entre un père
décevant, une mère soucieuse (mais incapable)
de bien faire et une sœur conforme à l’image qu’on
a d’elle. voyez comme tour à tour Elena la plaint,
la fustige et l’encourage dans sa boulimie. Parce que là
où Anaïs est, Elena compose : elle n’existe
jamais tant que lorsqu’elle est seule avec sa sœur, et échappe
totalement à ce qu’elle est face au monde, absorbée
par le désir de plaire. Alors qu’Anaïs est en
quête du plaisir.
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Baise-moi. C’est dans cet
interstice entre le plaire et le plaisir que l’amour (se)
déchire. " C’est là qu’on triche
avec la légende car la Belle [au bois dormant] a été
réveillée durant ces cent mois plusieurs fois
par jour par de nouveaux princes, charmants, assez insignifiants
tout compte fait " écrit l’auteur dans
son premier roman L’Homme Facile. Point de vue qui
pourrait se lire comme le thème générique
de son œuvre. A Ma Sœur ! est sans conteste une
nouvelle variation autour ce sentiment d’arnaque au prince
charmant qu’on fait subir aux jeunes filles : c’est le
point de discorde entre les deux sœurs. Elena, attend le prince
charmant et rêve de romance éternelle. Pour cela,
elle cherche à séduire, mais redoute sa sexualité.
Anaïs ne s’encombre pas l’esprit de princes et d’amour-toujours.
Elle se jette sur l’autre, palpitante de désir. En
ce sens, la scène de la rencontre avec Fernando est
emblématique… et sublimement comique : Fernando
invite les deux sœurs à s’asseoir à sa table,
Anaïs se jette sur la place libre à côté
de lui aussitôt réprimée par Elena qui
du même coup prend sa place. Le charmant offre à
boire aux jeunes filles : Elena se contente d’un café
tandis qu’Anaïs commande un banana split (l’image se
passe de commentaires). On la verra s’en régaler (tout
en rongeant son frein) pendant que les deux autres s’embrassent
(tout en se disant ce que font leurs parents). A voir et à
entendre ce qu’elle ne devrait pas, elle va faire l’expérience
de la première fois par procuration, au sens fort :
sa place de témoin-voyeur forcé va lui procurer
une connaissance des zones sombres et tumultueuses du discours
amoureux et des sensations et sentiments liés au sexe
qui la convainc de ce qu’elle sait déjà. Elle
assiste, les yeux écarquillés et dissimulés
derrière ses doigts écartés, aux négociations
puis aux ébats des deux amants. Pétrie de jalousie,
elle frémit de désir, tout prête à
(ac)cueillir le prince charmant pour ce qu’il est venu chercher
alors même qu’Elena frémit de trouille, pétrie
par le poids de la morale inculquée (la honte, le dégoût,
la culpabilité du sexe via les discours de préservation
et de dépravation. Là où Anaïs entrevoit
le moyen d’accéder au plaisir, Elena se demande comment
échapper à la douleur. Quand Elena se fera avoir
(et prendre), Anaïs ne pourra retenir ses larmes de colère
et de douleur.
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