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Désordres. Voici le titre que les
deux auteurs ont donné à leur ouvrage, semblant vouloir
s’excuser par avance d’un état qui pourrait être le leur,
et qu’ils évacuent dans une sorte d’abécédaire de pré-étude,
se permettant une liberté de ton et de construction avant
de passer à une étude plus sérieuse. Car on trouve dans
l’échafaudage du « récit » une rigueur et une
logique certaines qui permettent de lier ce qui au premier
abord pourrait paraître confus. Film après film, dans l’ordre
chronologique, Azoury et Lalanne font d’une œuvre « difficile
à ramasser » un objet unique et indivisible, au sein
duquel La Belle et la Bête est indissociable des
Parents terribles et du Sang d’un poète. Etudiant
méticuleusement le processus de création de l’auteur, de
ses tentatives éminemment personnelles aux films de commande,
s’aidant de nombreuses citations de Cocteau lui-même, analysant
ses rapports avec le milieu cinématographique, ses acteurs,
mettant en relation ses expériences personnelles et ses
créations, les deux auteurs relatent plus qu’ils ne spéculent
dans une première partie consacrée aux films eux-mêmes.
Cette recherche essentielle pour comprendre et analyser
l’œuvre de Cocteau fait place ensuite à une écriture plus
libre, se détachant des films, mais non du cinéma, parcourant
les écrits de Cocteau, et spécifiquement Mon premier
voyage, « le livre que Cocteau n’a pas écrit sur
le cinéma ». Ces récits, sortes de journaux intimes,
retracent le parcours physique et mental de Cocteau au sein
du Cinéma, comme sa rencontre fugitive avec Charlie Chaplin,
pourtant racontée par Cocteau comme la naissance d’une amitié
incomparable, ou comme sa dépendance à l’opium dont il recherche
les sensations au sein des images cinématographiques. A
travers des mini-chapitres, Lalanne et Azoury tentent de
donner forme à des idées dispersées. Mine de rien, ils créent
leur théorie de Cocteau cinéaste, une théorie qui, si elle
se profilait, n’avait jamais été énoncée clairement sur
du papier. Ainsi, « immobile vitesse », « le
soudain », « Montage : tout refleurit »,
permettent au lecteur une vue d’ensemble de l’œuvre coctalienne.
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Profondément impressionnés (au sens
aussi de l’impression d’une pellicule par l’image), mais
loin d’être aveuglés par le cinéaste qu’ils ont choisi d’étudier,
un cinéaste qui semble venu de tous les temps et d’aucun,
qui a laissé derrière lui une œuvre intemporelle, Philippe
Azoury et Jean-Marc Lalanne n’oublient pas de le replacer
dans l’histoire du cinéma, le confrontant à ses contemporains
de l’avant-garde des années 20 et surtout à son ami Eisenstein.
Et c’est tout naturellement que cette œuvre spiralée se
prolonge au-delà de son temps de création, à travers les
miroirs déformants d’Orson Welles (lequel a été inspiré
par l’autre ?), de Léos Carax, du cinéma expérimental
international, du cinéma américain fantastique (Le prince
des ténèbres, Gremlins…), et finalement de tout
le cinéma, car de l’inspiration assumée à la vague ressemblance,
viennent se greffer tout l’inconscient et tous les fantasmes
cinématographiques du siècle.
A la fois étude théorique, promesse d’autres écrits sur
le cinéaste, et ouvrage informatif, Cocteau et le cinéma
se présente également comme un beau livre, rassemblant de
nombreuses photos de films, de tournage, de Cocteau bien
sûr, et d’autres documents rares qui permettent d’allier
le plaisir de l’esprit à celui des yeux.
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Titre :
Cocteau et le cinéma
Auteurs : Philippe
Azouryet Jean-Marc Lalanne
Editeur : Cahiers
du cinéma
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