Il est vain et grotesque
 de vouloir mordicus scinder le cinéma en deux gargantuesques
 catégories. L’automne dernier, Leconte a bien failli
 être bon. Le polémiste malgré lui, victime
 d’un bug de fax, en a eu pour ses frais. Sa diatribe, ou plutôt
 son désarroi face à une supposée haine
 des critiques envers la production locale, a justement prêté
 le flan aux critiques. Et braqué les projecteurs sur
 un manichéisme rampant et vomitif bien de chez nous.
 Il y aurait donc les "gentils films" français
 (même si réalisés aux States) et les méchants
 films - évidemment américains, subodore-t-on
 dans notre barbe. Cette analyse binaire est tellement puante
 qu’elle en refoule du bec. Il est donc grand temps de lui
 faire mâcher un (Hollywood) chewing gum de bon aloi.
 Et de désinfecter ces idées puériles
 et putrides par trop en odeur de sainteté.  
 
    
 Le septième art,
 comme son nom l’indique de manière intrinsèque,
 est... un art. Il ne va donc pas s’embarrasser, parce que
 des réalisateurs médiocres, aigri ou pissant
 le pognon crient à leur propre trépas, de questions
 métaphysiques comme "De la binarité de
 ma fonction". On ne trouvera pas les ingrédients
 d’un bon film dans les fiches cuisine de Elle. Mais
 dans ses attributs scénaristiques et émotionnels.
 Dans ses aptitudes à transcender le quotidien. C’est
 de cette ossature quasi-divine que pousse l’anatomie du cinéma-septième
 art. 
 
    
 
 
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 À cet égard,
 et à bien des antipodes du débat stérile
 Exception culturelle versus Ricains, il est deux objets filmiques
 qui subliment et cette schizophrénie désopilante
 et notre quotidien. Deux frères ennemis, si l’on en
 croit quelques chirurgiens cinématographiques adeptes
 du bistouri et autres instruments de torture employés
 pour retirer toute preuve éventuelle de gémellité.
 Speed de Jan de Bont et Ressources humaines
 de Laurent Cantet sont deux skuds qui viennent anéantir
 cette foutue gueguerre de gosses rivés devant leur
 calculette Play School. Ces deux frangins ennemis-là
 (en apparence) prouvent que le cinéma, quand il se
 met à bander sec, défonce toutes les frontières
 idéologiques.  
 
    
 Speed, poids lourd
 du box office de l’été 94, est un édifice
 phallique du film d’action. Il en explose les codes, et enterre
 ses prédécesseurs. On a difficilement fait mieux
 depuis excepté peut-être The Rock de Mickael
 Bay. Quant à Ressources humaines, chef d’œuvre
 d’engagement politique aguerri, il vidange bien des moteurs
 syndicalistes censés, dans la vraie vie, embellir le
 sort des ouvriers. Frères jumeaux, Speed et
 Ressources humaines arborent les mêmes bleus
 de travail, ceux qui, portés avec élégance
 et éclat, subliment la réalité, celle-là
 même qui ne cesse de pactiser avec la satanique fatalité.
 La vie de beaucoup (trop) de nos congénères,
 quoi!. Par le truchement cinglant de son hyperbolisme, Speed
 dévale tout schuss sur les pistes de l’invraisemblable
 et de l’irrationnel. Aucun bus, même chargé de
 kérosène, ne pourrait effectuer le centième
 de que l’engin du film réalise en deux heures. Aucun.
 Idem, il semble difficile d’imaginer dans le monde du travail
 en entreprise le retournement de situation opéré
 par le jeune héros-apprenti DRH du dernier Cantet.
 Qui, aujourd’hui, serait assez membré pour se retourner
 contre son propre employeur qui, à défaut de
 carburer au kérosène, marche au sans sentiments.
 Qui?  
 
    
 A leur manière bien
 particulière, Speed et Ressources humaines
 raillent, tels des Monsieur Jourdain - donc sans le savoir,
 le manichéïsme qui s’est emparé des économistes
 de la chose cinématographique. Le septième art
 remplit là sa fonction d’agent matrimonial et fourre
 dans le même pieux conjugual deux (chefs d’) œuvres
 qui font la nique à un clivage qui raye trop le parquet.
 Et démontre que, Américains, Français
 ou Asiatiques, il n’y a que de bons ou de mauvais films. 
  
  
  
 
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