S'il y a une chose qui
manque, par les temps qui courent, c'est bien de rire français.
Le rire français n'ose plus la franchise, tout juste
la franchouillardise, et paradoxalement, c'est dans le gros
plant estampillé TF1 que l'on trouvera des saveurs
insoupçonnées (Aghion, Timsit, Chabat, voire
le Thomas Gilou de La vérité si je mens 2,
c'est le comique haut de gamme aujourd'hui, blague à
part).
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Le gros du problème,
c'est le complexe qui régit la vision globale de notre
cinéma : on croit le monde petit. On n'ose pas le rire
hors-frontières. Le rire rageur, destructeur, le drôle,
quoi. Ben non. On reste poli. Il y a toujours le désespoir
qui rôde sous le rictus, un mauvais rêve. Le noir,
le dépressif, bref le rire utile qui fait du bien.
Le rire français, quand il ne joue pas du n'importe
quoi qui lui va si bien (Aghion, Chabat, Timsit, encore, là
ou ça ose sans se poser de questions), n'est jamais
vraiment gratuit. Il faut toujours payer son obole au Prozac.
Les Jaoui et Bacri ont mis ça à la mode, et
ce qui n'était qu'une faiblesse de pseudo-auteurs en
mal de couillonnade (juste rire ? allons bon !) est passé
dans le domaine public. Misère ! Pourtant, on a bien
eu Tati quand même. Un type tellement drôle qu'il
a fini par ne plus l'être du tout. Regardez Playtime,
vous verrez : quand on vous raconte les gags, c'est à
mourir de rire. Sitôt sur l'écran ils deviennent
si étranges quon entend rire dans les étoiles
: quelque vénusien sans doute, dans son pays de gratuité.
Ce qu'a fait Tati, ça me donne les larmes aux yeux.
Playtime, c’est le chef-d’œuvre paradoxal. Un film
extraordinaire, dont on se demande s'il a bien fait d'exister
: c'est quand même lui qui a inventé le rire
mélancolique. Et le cinéma français s'en
est souvenu, le con. Mais Tati faisait du cinéma. Etaix,
aussi. Veber, Jaoui, Bacri, non. Le premier a eu la chance
d'avoir Pierre Richard. Lui aussi, un génie, sans doute.
Tué pour avoir fait la bique aux côtés
du gros Gégé. Mais quand même, c'était
le dernier burlesque, ce type. C'était du Keaton revu
par Leo Ferré, et on a laissé passer ça.
Lui aussi d'ailleurs, mais bon. Pour les deux autres, il a
fallu Resnais pour qu'au moins une fois, ça passe.
Mais déjà le rire était ailleurs. Là,
il s'est carrément enfui, brisé par la mélancolie
dépressive du rire à texte. Voyez le dernier
Le Roux, On appelle ça le printemps ! : " on
s'en fout c'est du cinéma " dit en substance un personnage
au conducteur qui le précède après lui
avoir cassé son pare-brise. Ben non on s'en fout pas,
justement parce que c'est du cinéma. Au lieu de ça
on s'amuse, le film fait la folle, questionne le couple façon
Biba avec un côté sûr de soi insupportable
de prétention. Et puis on feint de se réveiller
avec des larmes au coin des yeux. Tout ça, ça
cachait bien quelque chose. Ce que filme Le Roux à
longueur de plans ternes ce n'est plus de la substance, c'est
le rien béat, la stupidité narquoise d'un film
qui se veut désuet mais ne parvient qu'à être
rance. Ce qu'il filme, c'est son tout petit monde.
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En fait de vraie réussite,
il faut remonter à Pour rire ! un délicieux
OVNI de Lucas Belvaux, une merveille d'élégance
où le désespoir n'arrivait plus à percer
sous la joyeuse mécanique d'un vaudeville lunaire (tant
mieux). Ou même à La Maman et la putain,
le film le plus poilant qu'on ait pu voir depuis fort longtemps.
A cette époque, la dépression se faisait encore
avoir, envers et contre tout, par le rire joyeux et impulsif
(" ah ouais, je la vois la grenouille ! "). Eustache, le plus
grand comique de sa génération malgré
le désespoir en coin. Un montreur de grenouilles. Aujourd'hui
on a les dinosaures. Et le clown est blanc, misère,
alors que l'humour est noir. Où sont les Augustes ?
A faire les cons chez Bouygues, ils finiront par se taper
une sacrée gueule de bois. Et ça fera très
mal.
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