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Bob Dylan (c) D.R. BOB DYLAN AUX OSCARS
Les temps ont-ils changé ?
Par Denis RITTER


En 1965, l'immense Bob déversait sur le monde les vers enflammés de sa chanson The Times They Are A-Changin. Perché sur son volcan et sur les talons de ses bottines de cuir, les yeux cachés derrière ses lunettes noires comme pour se protéger de la chaleur de ses mots en fusion, le prophète-dandy annonçait l'avènement d'une ère nouvelle. L'inéluctable roue du changement allait tout renverser sur son passage, la révolution des mentalités était en marche et allait faire tomber tous les murs. L'heure du jugement dernier avait sonné et personne n'était à labri : les écrivains, les critiques, les sénateurs, les pères et les mères allaient enfin répondre de leurs méfaits. Les perdants seraient les gagnants, les derniers les premiers, et de nouvelles routes prendraient la place d'anciennes voies pavées de conventions obsolètes. Toute une génération, avide de faire évoluer une société prise dans la glace de ses propres traditions, se reconnaissait dans l'incandescence clairvoyante de ce sermon biblique.




  Bob Dylan (c) D.R.

Trente-cinq ans plus tard, le poète du folk-rock signe la bande originale du film Wonderboys de Curtis Hanson et, comme le souligne le titre d'une des chansons qui la composent (Things Have Changed), les choses ont bel et bien évolué. Mais, ironiquement, pas comme le laissait entendre son magistral brûlot du milieu des années soixante, car celui par qui soufflait le vent de la révolte s'est produit via satellite devant le tout-Hollywood embagousé lors de la dernière cérémonie des Oscars, clinquante célébration annuelle de l'argent roi. O tristesse, ô consternation, c'est à la miss T-shirt mouillé des plages californiennes et symbole de la pop sous cellophane estampillée MTV, j'ai nommé Jennifer Lopez, qu'est revenue la tâche de présenter celui qu'on ne présente plus. Le dylanophile moyen pourra toujours se consoler en se disant que les textes des chansons de la " bomba latina " ne seront jamais, à la différence de ceux du maître, comparés à la poésie de Shakespeare ou de Lord Byron, espérons-le tout du moins. Après cette pathétique introduction, l'Artiste est apparu à l'écran et s'est lancé dans les premiers accords de sa dernière création, sans autre forme de préambule. Il n'a pas daigné, à la manière d'un John Lennon au Royal Albert Hall, demandé au public de secouer ses bijoux en rythme.

Dylan n'aura au moins pas eu à assister à l'affligeant spectacle offert par un parterre à l'ego surdimensionné qui, durant ce mini-concert formaté, a sombré, suivant les cas, dans une gestuelle insignifiante héritée d'Histrion ou dans un sommeil salvateur dans l'attente d'une prochaine coupure publicitaire. La sémillante Goldie Hawn, confondant apparemment Pat Garrett et Billy the Kid et La Fièvre du samedi soir, a choisi la stratégie dite du " trémoussement intense ", très prisée aux heures des pantalons en velours orange et des chemises à jabot. Son agitation cadencée présentait tous les symptômes du réflexe conditionné et probablement aurait-elle persévéré dans la même voie si Ricky Martin était venu bouter Dylan hors de l'écran. Danny de Vito a préféré considérer la chose avec une indifférence boursouflée et graisseuse. Esquissant une sinistre imitation du légendaire " Boss " de la non moins légendaire série Shériff fais-moi peur (notez la richesse de la référence), il s'est lancé avec délectation dans l'engloutissement méthodique d'une innocente carotte( !). Attitude méprisante que Steve Martin na pas manqué de railler avec l'esprit qui le caractérise. Seul Ed Harris a semblé être fasciné par la performance, et surtout a-t-on pu lire dans le regard bleuté du néo-stalingradien tout le respect qu'il semble éprouver pour celui qui a su donner une littérature au rock. Maigre bilan.

Goldie  Hawn (c) D.R.

Que penser de ce carnage médiatique planétaire ? Faut-il considérer que Dylan a laissé ses convictions au vestiaire pour devenir un businessman glacial s'adonnant au culte du veau dor ? Il serait facile de se hâter vers une telle conclusion en l'écoutant remercier la Columbia, la Paramount et les membres de l'académie " pour leur audace ". L'apparition de Dylan aux Oscars apparaît pourtant comme l'énième pirouette d'un provocateur né qui a fait de l'art du contre-pied une philosophie. Quand on a voulu l'enfermer dans une image de chanteur engagé, il s'est orienté vers la ballade introspective ou le blues déjanté. Quand on a voulu le cantonner au rôle de leader spirituel du folk acoustique traditionnel, il a électrifié sa musique. Quand on lui a demandé s'il se considérait comme un écrivain ou un artiste de folk-rock, il a répondu qu'il n'avait rien à voir avec le folk-rock. Dylan s'est toujours génialement ingénié à fuir tout drapeau et toute étiquette, a toujours refusé de se laisser coller des pancartes dans le dos. Il a toujours clamé haut et fort son désir d'indépendance à grands coups d'aphorismes désormais cultes tels que " on n'a pas besoin de présentateur météo pour savoir d'où vient le vent " ou " ne suivez pas les leaders, regardez les parcmètres ". Sa présence aux Academy Awards s'inscrit dans la grande tradition des pieds de nez dylaniens. En évoquant Things Have Changed, il a affirmé que cette chanson ne fermait pas les yeux sur la réalité de la nature humaine. Toujours présent là où on l'attend le moins, Dylan est l'illustre représentant de cette espèce qui se définit par sa glissante capacité à échapper à toute définition, de cet oxymore bipède qui se nourrit de ses contradictions. Sa musique, son comportement, ses textes nous rappellent constamment que si le ridicule ne tue pas, l'attendu, le prévisible, le planifié sont eux synonymes de mort certaine. Rien que pour cela, il ne méritait pas un Oscar.



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