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Jean-Luc Delarue (c) D.R. JEAN-LUC QUALITY STREET
Le réservoir à bonheur
Par Cyril JOHANNEAU


C'est ça le système Delarue : fabriquer des tranches de bonheur à montrer, à raconter, à revoir, à se souvenir. Fabriquer des quarts d'heure de célébrité. Et convaincre chacun d'entre nous qu'il a une raison d'aller chez Delarue.


  Jean-Luc Delarue (c) D.R.

Ça y est, j'ai trouvé mon maître ! En la personne de Roland Courbis, l'entraîneur déchu du FC Lens. Rassurez-vous, il ne s'agit pas d'un effet secondaire de la championnite aiguë qui décime la France depuis plus de deux ans (successivement, les virus Mondial et Euro). Que nenni. Ce n'est pas l'entraîneur que je vénère mais Courbis-le-nouveau. Courbis-le-donneur-d-avis. Sitôt écarté de son poste d'entraîneur, le voici donneur d'avis au sein du club. Voilà un type payé (rondement qui plus est) pour donner (autant dire vendre) son avis, en clair pour faire ni plus ni moins que ce que fait tout un chacun tout le temps et gracieusement. Vous, moi, eux. A la différence que la majorité d'entre nous le fait en plus de toute activité rémunérée. Un passe-temps, un loisir, une hygiène. Bien souvent, on le fait implicitement presque inconsidérément - la frontière est ténue entre l'avis, le jugement, le procès d'intention. Pour Courbis, c'est tout le reste qui devient loisir, hobby. Son métier, désormais, c'est donneur d'avis. Reste à savoir quel avis : son avis ? Mon avis ? L'avis des autres ? Tous les avis ? Est-il aux 35 heures d'avis/semaine ? Ce qui impliquerait qu'il ait des jours de repos d'avis ou alors des jours d'avis non comptabilisés, des avis qui comptent pas en somme. Autant dire la porte ouverte aux scandales : faux et usage de faux avis, recèle d'avis qui ne comptent pas, détournement d'avis d'autrui, avis fictif, etc. Ou peut-être est-il payé à la commission ? Au forfait ? En ce cas percevra-t-il des droits d'auteur d'avis ? Et ensuite ? Que fait-on des avis récoltés ? à quoi servent ces avis ? Et que faire, par exemple, d'un avis contraire (à l'avis général, bien sûr) ? ou d'un avis déplacé ? A-t-il le droit de grève de l'avis ? Peut-il être sanctionné pour avis non sollicité : s'il donne son avis alors qu'on ne le lui a pas demandé ? Ou cela serait-il considéré comme une entrave à sa fonction ? Du fait du prix payé, son avis a-t-il plus de valeur que le mien, le vôtre, le nôtre ? Tant de questions qui me pourrissent la vie. Oui, moi aussi je veux ma part : je veux faire donneur d'avis comme métier et être grassement rémunéré (message subliminal à l'attention de Monsieur Objectif-cinéma.com). Pourquoi se compliquer la vie ? C'est tellement facile d'avoir un avis. Je pense pouvoir en avoir, aussi.

S'il y en a bien un qui l'a compris, c'est Jean-Luc Delarue. Il ne fait rien d'autre que demander l'avis (la vie) des autres. Des anonymes, de la plèbe, de l'homme de la rue (c'était écrit…). Mais pas seulement ça. Attention l'avis de la rue est un projet de télévision globale : montrer la rue, penser la rue. Penser comme la rue ? Et au cœur du projet, sa maison de production : Réservoir Prod. Si vous pensiez y voir une référence à Tarantino, oubliez. Comme son nom l'indique, c'est un réservoir voire un déversoir. Réservoir d'images, d'avis, de témoignages que Delarue déverse sur le petit écran jour après jour. Oui, 7 jours sur 7. Non, je ne délire pas ; non, vous ne rêvez pas. Démonstration : du lundi au samedi " C'est Mon Choix " (France3), du lundi au jeudi " Tous Egaux " (France3), le lundi " Jour Après Jour " (France2), le mercredi " Ça Se Discute " (France2), et les deux petites nouveautés qui nous accompagnent le week-end, à savoir " Stars à Domicile " (TF1, le samedi) et des reportages fournis à " Zone Interdite " (M6, le dimanche). A se demander si ce projet de télé globale ne ferait pas de Delarue notre grand frère à tous et par là-même de chacun de nous des grands frères en puissance : nous regardons big brother nous scrutant. Magistral. C'est moins frontal, moins dégradant et/ou humiliant, donc moins immoral, moins trash que la télé du même nom (" Big Brother ", " Survivor ", etc.) puisque plus dilué, plus " proximité ", plus " interactivité ", plus " vraie vie des vrais gens ". Et puis il n'y a rien à gagner, si ce n'est un instant de gloire.