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Le reportage fini, vient le film de LA rencontre.
L'aboutissement. Et bien, non. De la même façon
que chaque séquence fait place à un plateau
où la star surprise revient sur ce que l'on vient de
voir et nous explique ce que l'on va voir dans une surenchère
de déclinaisons de l'émotion vécue, ce
que l'on croyait être l'aboutissement n'était
en fait qu'une énième phase et débouche
à nouveau sur un plateau où, cette fois, toutes
les stars de l'histoire sont réunies, et plus qu'il
n'en faut : les complices, les traîtres, les parents,
les faux amis, les petits amis, la concierge, le chien. Et
pour quoi faire ? Pour raconter et se raconter tout ce que
l'on vient de voir, toute cette émotion, toute cette
tension, tout ce bonheur : " Oh pis tu t'souviens ? Oh pis
quelle surprise ! Oh pis on s'reverra… " Epatant.
C'est ça le système Delarue : fabriquer des
tranches de bonheur à montrer, à raconter, à
revoir, à se souvenir. Fabriquer des quarts d'heure
de célébrité. Et convaincre chacun d'entre
nous qu'il a une raison d'aller chez Delarue. Moi-même.
Je l'avoue. Je rêve d'être une star à domicile.
C'est pourquoi je lance un appel solennel à tous mes
amis, ma famille, mes collègues, toi lecteur : faites
de moi une star à domicile. Assouvissez mon fantasme
de voir Maïté égorger un sanglier dans
ma cuisine. Réalisez mon plus vieux rêve d'enfant
de voir Philippe Candeloro glisser dans ma baignoire ou dans
mon bidet en rayant stridemment l'émail comme dans
la pub cif, naguère. Je vous en supplie, aidez-moi.
Moi aussi je veux pouvoir voir et revoir et m'émouvoir
du bonheur qui frappe à ma porte. Moi aussi je veux
pouvoir me dire comme dans la chanson de Souchon " Si la vie
est un film de rien / ce passage-là était vraiment
bien " et chanter à tue-tête et me repasser la
séquence en boucle.
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Finalement, je me rends compte qu'il y a
pas mal à y gagner. Comparé à d'autres.
prenez Michel Field avec son émission " Prise Directe
" (France 3) : à bien y regarder, le concept est le
même. Bien sûr, Field enrobe ça dans du
politique, du télé-citoyenne. Il préfère
le rêve collectif… Jean-Luc Delarue n'a (peut-être
?) pas eu la chance d'avoir des parents communistes. Quoi
qu'il en soit c'est pareil : il vient chez vous, au sens large
puisqu'il va plutôt au bistrot du coin (comme Rachid
Arhab va sur les marchés) pour tailler le bout de gras
avec l'homme de la rue ; il traîne avec lui son cortège
de personnalités (il est moins show-biz, Field. Mao
oblige.) et propose, ô surprise, une performance (entendez,
un débat). Davantage encore que chez Delarue, tout
le monde est à niveau (tout le monde est " égaux
"), personne n'est vraiment star, tout le monde à l'occasion
de l'être. Le dispositif est confondant.
La semaine dernière, certainement atteint par l'ESB
(l'Esprit Stéphane Bern), il est allé voir les
Lillois pour discuter têtes couronnées et tenter
de répondre à l'essentielle question : à
quoi servent rois, reines et princesses : à faire rêver
ou à gouverner ? Il avait bien installé son
aréopage, avec d'un côté les monarchiste
et assimilés, et de l'autre la masse, les gueux. Du
côté assimilés, on a eu droit non pas
à l'esprit mais à Stéphane Bern en personne,
ce soir-là aussi beau qu'à son habitude, et
surtout à la Princesse de Breuil herself qui, ne voulant
pas être hâtivement confondue avec/à son
titre, déclara : " Moi, je suis une femme de lettre
". Je signale simplement que son œuvre littéraire s'intitule
Comment faire la cuisine quand on reçoit. Qu'elle se
rassure, on ne la confondra pas avec son titre qui, de toute
évidence, est aussi reluisant que les couronnes de
lauriers et autres trophées qui ornent les boîtes
de camembert, avec lequel, par contre, on risque de confondre
sa cervelle. Preuve (s'il en faut) que la vulgarité
n'est pas l'apanage du peuple. Du côté des gueux,
Field avait convié Fodé Sylla, qu'il introduit,
avec le cerveau qu'est le sien, ainsi : " Fodé Sylla,
vous êtes noir mais vous pourriez tout à fait
avoir du sang bleu ". Fatidique.
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Ne vous méprenez pas, l'un dans l'autre
votre heure de gloire touche à sa fin. Chez Delarue,
comme chez Field, l'émission terminée tout le
monde retourne à sa vie : les stars à leur vie
de star, les vrais gens à la vraie vie. On n'est pas
à " Graines de Stars " !
Gueux et nantis, stars et pas stars, que tout ceci n'entame
pas votre bonheur et ne gâche pas votre St Valentin
déjà bien pourrie, je sais, par la naissance
prématurée de René-Charles (pourtant
prévue pour le 14), et presque entièrement brisée
par la rupture professionnelle de Tom et Nicole.
Gardez les yeux grands fermés, je m'occupe du reste.
Sortez prendre l'air. Le bonheur est peut-être au coin
de la rue ?
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