Sur le petit écran
s’est épanchée, ces derniers mois, l’arrogance
manipulatrice d’un spot promotionnel EDF. On y scrutait, à
travers l’œilleton tendance de la techno-esthétique,
la colonisation d’un espace vierge par la dérive constructiviste
moderne. Dans une fulgurante compression de l’instant, les
blocs de béton s’empilaient, les lumières se
reproduisaient, l’immobilier proliférait. Les maisons,
les buildings et les ponts pullulaient, fruits d’une infinie
copulation entre nature et progrès. Puis l’accroche
publicitaire tombait, péremptoire : Game Over, vous
n’avez pas respecté l’environnement.
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Derrière l’hypertrophie
démagogique de l’objet reste tapie, essence du marketing,
une conscience aiguë de l’époque. Car ce jeu virtuel,
étirant à l’extrême ses limites spatio-temporelles
pour les besoins gigantistes de la télégénie,
s’inscrit sans gêne dans notre paysage culturel en perpétuelle
fin de cycle, cherchant dans le concept une échappatoire
à l’épuisement des formes ludiques. Pacman
et Sonic ont vécu, semblait affirmer Simcity,
simulation urbaniste du siècle dernier ayant inspiré
les concepteurs du spot EDF. Il s’agissait, pour un joueur-promoteur-architecte
de gérer l’expansion d’une ville de pixels, nouvelle
forme de modélisme qui n’a pas tardé à
engendré sa naturelle frustration. Très vite,
il a fallu peupler la maison de poupées. Les Sim’s,
petits personnages aux vies compartimentées, ont étoffé
les possibilités du jeu. En élargissant à
l’humain la matière assujettie, l’éventail de
pouvoir du joueur en a fait un petit Dieu, à l’échelle
de son propre microcosme. C’est dans sa dimension théologique
que le jeu mérite d’être questionné. Gérer
les vies de ces tamagotchis élaborés se révèle
infailliblement addictif : veiller à ce qu’ils vivent
confortablement et se fassent des amis, qu’ils restent propres
pour pouvoir les garder... Faire prendre une douche à
son personnage pour qu’il ne sente pas mauvais. Sous toutes
ses formes, la vie quotidienne vampirise la culture. Cousins
du Loft, les Sim’s en reproduisent le caractère
vicieux et monstrueux. La même déconstruction
des relations humaines y est à l’œuvre, la même
tentative passionnante de les domestiquer. Ils exercent sur
leurs auditoires un semblable effet hypnotique, déréalisation
d’un temps réel peu à peu diffracté par
l’implosion des repères de petits dieux littéralement
accrocs à cette vie par procuration. Flirtant avec
l’épanouissement illusoire d’un je vidéo
pour ne récolter que l’aliénation d’un jeu
vide-ego.
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En mettant en scène
(et en question) la réalité, ces dispositifs,
des Sim’s au Loft, ne font pas qu’embrigader des meutes
de teenagers, mais attisent, au pays des adultes, de vaines
polémiques fustigeant leur voyeurisme. Serpent de mer
éludant confortablement un problème autre :
la fascination générale d’une époque,
la nôtre, pour l’ennui et l’idiotie. Sentiment difficilement
assumable, et pourtant assumé désormais par
toute une veine branchée de l’intelligentsia. Trouver
dans l’addiction au vide les perspectives d’un nouveau gisement
de pensée était une innovation bienheureuse.
Mais cet amour du concept, qui a inspiré tant d’exégètes
loftiens et autres sociologues de la série télé,
n’est plus leur apanage. Toujours plus, et c’est là
que tout dérape, l’écart entre les analystes
et leurs objets s’est resserré jusqu’à effleurer
l’immédiateté. Décomplexée, la
horde adolescente revendique à présent son statut,
emmerde le questionnement, oubliant le concept pour se masturber
publiquement sur Ally McBeal. Cet onanisme " teen
spirit " qui sévit, vouant tant de lignes
éditoriales à la posture, n’est qu’une œillade
réactionnaire grimée en attitude moderniste.
A la pointe de notre ère, il faudrait refuser de grandir,
lorgner vers la bêtise biactolée, embrasser avec
dévotion la trajectoire télé-réalité-clips-séries,
sous peine d’être taxé de fascisme ? Se
livrer aux tyrans bourgeois et se complaire dans une utopie
universaliste qui, plus forte que toutes les politiques, comblerait
la fracture sociale en réconciliant par l’image la
France d’en haut et celle d’en bas, regards rivés sur
un même écran ? Halte au communisme de l’hébétude,
chaussons des semelles friandes d’esprit adolescent et foulons
ce snobisme de l’anticulture. La branlette ne s’est jamais
pratiquée en public. De grâce, masturbateurs
proclamés, n’éjaculez plus dans vos colonnes.
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