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(c) D.R. LA BOUTIQUE A OPIUM
Chapitre 9
Par Matt DRAY


« Il y en a tellement qui disparaissent sans qu’on s’en aperçoive… »
Michel Serrault dans Docteur Petiot de Christian de Chalonge



  (c) D.R.

Je me traînais, le pas démesuré, au-dessus de la seine, scrutant du bout de mes yeux secs la lente progression de ce petit navire à moitié siphonné qui s’en allait au fond tout au fond du champ brumeux, vapeurs insondables du mirage horizontal. J’ai passé le pont et j’ai revu Saint-Michel. On s’était quitté pour un mois lui et moi. On s’était fâché en quelque sorte. Je me suis demandé si les cinémas d’antan étaient toujours à leur place, si aucun promoteur véreux n’avait racheté le tout pour en faire quelques supermarchés froids où se pavanent toutes les bonnes ménagères en mal de goût, dénudées de culture et de rêve absolu. C’était le quartier des vieux livres et pour pas chers, il y avait là un paquet d’auteurs qui couchaient sur les étalages et c’est là tout de même que j’avais découvert Welles, Tarkovski, Cassavetes, sur l’écran, en vrai. Mais ton quartier perd son latin maintenant. Que peux-tu y faire ? On s’est tout permis avec toi. L’armée de zozos a débarqué sans prévenir, hot dog pizza blagues poreuses à volonté dans les poches, dans la tête, tes musiciens sont presque partis, tous tes poètes sont morts, et tes films qu’on appelle « vieux » se montrent de moins en moins. C’est fou ce que les choses changent. Et quand elle change, c’est qu’elles se détériorent, que quelqu’un les détruit.

Te rappelles-tu des soirées cinéphiles où je cherchais un refuge pour oublier que le monde est d’une sale et froide espèce ? Je n’ai rien oublié moi et pour toujours… Les rétrospectives Fritz Lang qui me rentraient dans le corps et Scaramouche encore et l’épée à la main, etc. C’était bien pour me donner l’envie de faire des films, créée des « trucs » quoi, comme le magicien, comme la musique, comme l’amour parfois quand il ne se laisse pas tenter par le confort et l’habitude. Il n’y a que le cinéma qui puisse faire demeurer les choses, toutes les choses du monde… ça vaut toutes les émotions réelles…

(c) D.R.

Mais nous revoilà bientôt à mesurer la popularité des nouveaux films aux récompenses qu’ils recevront et à déballer toutes sortes de futiles remerciements et monsieur César monsieur Oscar et Lion d’Or et Palme machin chose ; mais à quoi cela rime ? Et pendant ce temps-là, il y a le gars Du Plantier qui a cassé sa pipe du côté de Berlin et qui se retrouve seul maintenant comme on finit tous par l’être de l’autre côté de la vie et le souvenir de sa tronche qui va s’estomper en peu de temps car on oublie vite… si vite… Je me rappelle l’avoir croisé à une projection « spéciale » mairie de Paris avec tout le gratin. C’était lors de la présentation de Bowling for Colombine, excellent manifeste, à L’Arlequin. J’avais fait une partie du chemin en sa compagnie sur le trottoir de la rue de Rennes. Je le précédais de quelques pas. Il marchait d’une petite allure vers la salle, tranquille, sans escorte. Il est arrivé ; on l’a salué de toutes parts. Bien sûr. Et puis, quelque part, il le méritait. Je suis arrivé à mon tour ; personne ne m’a salué. Personne ne me connaissait, bien sûr. J’ai pris place dans la salle à côté d’Alain Corneau. Puis le film est passé. C’est un film que vraiment trouvé juste et absolument pas moralisateur. Alors, nous sommes tous sortis de la salle puis les plus mondains se sont tous jeté corps entier sur le buffet, avant de critiquer sans fondement, la bouche épaisse et remplie de victuailles, le film de Michael Moore. J’ai horreur de ceux qui intellectualisent tout, sous prétexte de se rendre intéressant. Mais ça, c’est une autre histoire. Toscan Du Plantier se trouvait là, au milieu des invités, souriant mais un peu seul, en définitif. Je me suis approché de lui et je l’ai remercié au sujet d’Unifrance, institution qui me permettait de présenter mon court-métrage à l’étranger. Ce système facilitait bien les choses. Il m’a souri. Et puis, moi, je suis parti. Il est parti aussi Toscan. L’ambiance générale devait peut-être le déranger. Et puis il n’y avait plus Losey, Fellini et les autres, et bientôt plus Pialat, pour rêver. Alors, je comprends sa déception.

Le monde du cinéma, c’est ça maintenant. Et j’en passe, des moins bonnes de ce genre de « soirée de cinéma ». Il me souvient de celle, passée pour l’ouverture du Festival du Film de Paris en 2001. Ça se passait à l’Hôtel particulier de Marcel Dassault, au Rond-point des Champs Elysées. Il y avait là rassemblé tout un tas d’imbéciles ; rien que des stars comme on dit ! Et de la coke et du stock encore avec ça ! C’était vraiment dégueulasse et l’on m’avait même pris pour un grand réalisateur ! Du n’importe quoi en définitive ! Et dire qu’il s’en trouve beaucoup parmi les foules d’anonymes qui remplissent les rues de France et de Navarre qui vendraient jusqu’à leur propre mère pour appartenir à ce monde-là. Franchement, c’est à n’y rien comprendre ! Allez, va donc Toscan, va donc retrouver Pialat là-haut qui te prenait pour Théo, le frère de Vincent qu’il l’avait suivi dans la mort six mois après lui. Le destin se répète.



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