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Je me traînais, le pas démesuré, au-dessus
de la seine, scrutant du bout de mes yeux secs la lente progression
de ce petit navire à moitié siphonné qui s’en allait au fond
tout au fond du champ brumeux, vapeurs insondables du mirage
horizontal. J’ai passé le pont et j’ai revu Saint-Michel.
On s’était quitté pour un mois lui et moi. On s’était fâché
en quelque sorte. Je me suis demandé si les cinémas d’antan
étaient toujours à leur place, si aucun promoteur véreux n’avait
racheté le tout pour en faire quelques supermarchés froids
où se pavanent toutes les bonnes ménagères en mal de goût,
dénudées de culture et de rêve absolu. C’était le quartier
des vieux livres et pour pas chers, il y avait là un paquet
d’auteurs qui couchaient sur les étalages et c’est là tout
de même que j’avais découvert Welles, Tarkovski, Cassavetes,
sur l’écran, en vrai. Mais ton quartier perd son latin maintenant.
Que peux-tu y faire ? On s’est tout permis avec toi.
L’armée de zozos a débarqué sans prévenir, hot dog pizza blagues
poreuses à volonté dans les poches, dans la tête, tes musiciens
sont presque partis, tous tes poètes sont morts, et tes films
qu’on appelle « vieux » se montrent de moins en
moins. C’est fou ce que les choses changent. Et quand elle
change, c’est qu’elles se détériorent, que quelqu’un les détruit.
Te rappelles-tu des soirées cinéphiles où je cherchais un
refuge pour oublier que le monde est d’une sale et froide
espèce ? Je n’ai rien oublié moi et pour toujours… Les
rétrospectives Fritz Lang qui me rentraient dans le corps
et Scaramouche encore et l’épée à la main, etc. C’était bien
pour me donner l’envie de faire des films, créée des « trucs »
quoi, comme le magicien, comme la musique, comme l’amour parfois
quand il ne se laisse pas tenter par le confort et l’habitude.
Il n’y a que le cinéma qui puisse faire demeurer les choses,
toutes les choses du monde… ça vaut toutes les émotions réelles…
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Mais nous revoilà bientôt à mesurer la popularité
des nouveaux films aux récompenses qu’ils recevront et à déballer
toutes sortes de futiles remerciements et monsieur César
monsieur Oscar et Lion d’Or et Palme
machin chose ; mais à quoi cela rime ? Et pendant
ce temps-là, il y a le gars Du Plantier qui a cassé sa pipe
du côté de Berlin et qui se retrouve seul maintenant comme
on finit tous par l’être de l’autre côté de la vie et le souvenir
de sa tronche qui va s’estomper en peu de temps car on oublie
vite… si vite… Je me rappelle l’avoir croisé à une projection
« spéciale » mairie de Paris avec tout le gratin.
C’était lors de la présentation de Bowling for Colombine,
excellent manifeste, à L’Arlequin. J’avais fait une
partie du chemin en sa compagnie sur le trottoir de la rue
de Rennes. Je le précédais de quelques pas. Il marchait d’une
petite allure vers la salle, tranquille, sans escorte. Il
est arrivé ; on l’a salué de toutes parts. Bien sûr.
Et puis, quelque part, il le méritait. Je suis arrivé à mon
tour ; personne ne m’a salué. Personne ne me connaissait,
bien sûr. J’ai pris place dans la salle à côté d’Alain Corneau.
Puis le film est passé. C’est un film que vraiment trouvé
juste et absolument pas moralisateur. Alors, nous sommes tous
sortis de la salle puis les plus mondains se sont tous jeté
corps entier sur le buffet, avant de critiquer sans fondement,
la bouche épaisse et remplie de victuailles, le film de Michael
Moore. J’ai horreur de ceux qui intellectualisent tout, sous
prétexte de se rendre intéressant. Mais ça, c’est une autre
histoire. Toscan Du Plantier se trouvait là, au milieu des
invités, souriant mais un peu seul, en définitif. Je me suis
approché de lui et je l’ai remercié au sujet d’Unifrance,
institution qui me permettait de présenter mon court-métrage
à l’étranger. Ce système facilitait bien les choses. Il m’a
souri. Et puis, moi, je suis parti. Il est parti aussi Toscan.
L’ambiance générale devait peut-être le déranger. Et puis
il n’y avait plus Losey, Fellini et les autres, et bientôt
plus Pialat, pour rêver. Alors, je comprends sa déception.
Le monde du cinéma, c’est ça maintenant.
Et j’en passe, des moins bonnes de ce genre de « soirée
de cinéma ». Il me souvient de celle, passée pour l’ouverture
du Festival du Film de Paris en 2001. Ça se passait
à l’Hôtel particulier de Marcel Dassault, au Rond-point des
Champs Elysées. Il y avait là rassemblé tout un tas d’imbéciles ;
rien que des stars comme on dit ! Et de la coke et du
stock encore avec ça ! C’était vraiment dégueulasse et
l’on m’avait même pris pour un grand réalisateur ! Du
n’importe quoi en définitive ! Et dire qu’il s’en trouve
beaucoup parmi les foules d’anonymes qui remplissent les rues
de France et de Navarre qui vendraient jusqu’à leur propre
mère pour appartenir à ce monde-là. Franchement, c’est à n’y
rien comprendre ! Allez, va donc Toscan, va donc retrouver
Pialat là-haut qui te prenait pour Théo, le frère de Vincent
qu’il l’avait suivi dans la mort six mois après lui. Le destin
se répète.
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