Nice People, plus qu’une émission culturelle,
un programme scandaleux.
Valise vide à la main, placardée du
drapeau qui est le sien, les Nice lofteurs ont rejoint leur
lieu de villégiature par groupes. Valises vides mais accessoirement
nécessaires et certainement trop petites encore pour contenir
toutes les illusions, si ce n’est de leurs supposés propriétaires,
en tout cas des téléspectateurs à qui elles sont assurément
censées parler. Valise vide à la main, disais-je, ils ont traversé
le sas qui sépare le monde extérieur de la Villa, guidés par
un tapis rouge, seul repère de ce repaire par ailleurs entièrement
blanc et aboutissant sur une porte entièrement noire. Ce sas
n’a pas échappé, loin s’en faut, à la logique délirante des
producteurs : en fait de sas, il faut se figurer un long
couloir coudé, promis, parions-le, à un avenir patronymique
de type Couloir de la Mort.
S’en suivirent échanges de prénoms, de
salive, de sourires, de cris, d’impressions, bref ce qui fait
de cette arrivée dans le loft, non, la Villa, mon ami, la
Villa, tout ce qu’il y a de plus banal, si ce n’est, pour
ponctuer le tout, l’explosion d’un feu d’artifice, le
bien nommé.
La suite des opérations devait m’apporter, contre toute attente,
la solution à l’énigme de l’hélicoptère. En effet, après ce
déploiement d’artillerie et la mise à feu littérale de Nice
People, les nice lofteurs découvrirent enthousiastes des
caisses de bois échouées sur le terrain de beach-volley. Des
caisses en tout point semblables aux caisses vues et revues
jusqu’à récemment dans les journaux télévisés lorsque larguées
par les puissantes armées du monde sur les théâtres des opérations,
les fronts et/ou autres zones sensibles du globe. Ces caisses
de bois aux insignes européens, perdues dans les sables de la
Villa, provoquèrent chez moi un trouble saisissant. Image dérangeante
d’une mise en scène de mauvais goût.
Qu’étaient ces caisses ? La preuve
par l’image de la fin de l’Europe politique divisée ? Des
munitions ? Des vivres ? Une aide humanitaire ?
Rien de tout cela. Et tout cela, nonobstant. Car n’oublions
pas que Nice People “ montrera que l’Europe est une
réalité et que les Européens peuvent vivre ensemble ”
(Etienne Mougeotte). Voici donc nos Européens acculés à vivre
ensemble et surtout à en faire des caisses pour mener à bien
les hostilités à venir. Pas un seul, semble-t-il, pour s’affecter
de la présence de ces caisses. Sans compter qu’on pouvait se
demander comment elles étaient arrivées là. Par hélicoptère ?
Non, l’hélico, c’était pour débarquer notre armée européenne.
Sauf qu’en fait d’armée nous n’avons qu’un escadron de combattants
martyrs. Alors ? Je pencherais pour un avion furtif, forcément
furtif. Là encore, pas un seul pour s’en préoccuper. C’est dans
l’ordre des choses. Plus préoccupant pour nos recrues, le contenu
des caisses. En effet. Je vous le donne en mille, rien d’autre
que le contenu des valises vides. Plus désolant pour eux :
les caisses sont restées deux heures sous la pluie, les fringues
ont commencé à déteindre. Trop dur, la vie au front.
Et de me demander quel est ce jeu qui
débarque ces participants en hélicoptère comme des G.I ou des
Casques Bleus et leur largue quelque temps après des caisses
en bois pleines de leurs garde-robes ? Quelle est donc
cette guéguerre dont les alliés sont aussi adversaires, dont
les combattants sont aussi appelés à devenir martyrs, dont le
théâtre des opérations est autant à assiéger qu’à libérer de
l’assaillant, dont l’ennemi ultime est un sniper embusqué dans
son canapé avec, entre les mains, et pour toute arme son téléphone,
et dont le seul vainqueur ne sera pas notre préféré mais celui
qui se remplit les poches des bénéfices des appels surtaxés
(des snipers précités) ?
“ Peut-on tout montrer à la télévision ? ”,
s’interrogeait Patrick Le Lay, président de TF1, en 2001 à propos
de Loft Story, et de répondre haut et fort, mû par “ des
règles éthiques et déontologiques ”, que “ non ”.
Les règles ont fait long feu. C’est pourquoi, aujourd’hui on
peut oser, sans vergogne, le télescopage honteux, au sortir
de la guerre que l’on sait, d’images synonymes de déchéance
et de chaos pour tout un peuple (et plus encore), et d’images
synonymes d’ascension et de divertissement pour 12 européens
en villégiature sur la Côte d’Azur ! Visiblement, oui…
Sur une grande chaîne gratuite, disponible en clair pour l’ensemble
des Français, y compris les plus jeunes d’entre eux, on peut.
Nice People, plus qu’une émission culturelle, un programme
scandaleux.
À part ça, Serena trouve que deux baignoires côte à côte c’est
vraiment pas pratique pour faire “ des trucs de sexe. ”
A bon entendeur.