Sorti de la salle de ciné, toujours rien compris au film,
pas de panique, cette chronique vous refait le film. Les producteurs
retiennent les spectateurs, les personnages se demandent encore
pourquoi ils ont accepté ce rôle. Qu’est ce qui se passe dans
leur tête, les dialogues qu’ils auraient aimé dire, nous vous
révélons la face cachée des scénarios. On se refait le film,
une critique inventive de vos films préférés, ou pas… parce
que le cinéma n’est pas un art sacré.
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Terry Gilliam avait patienté
dix ans avant de filmer une grande adaptation de Don Quichotte
au cinéma. Ça commençait à bien faire. « Maintenant
on tourne, clamait-il, mais tournez putain de dieu ! »
« - Il nous manque la moitié des acteurs patron, et
puis la couleur du ciel n’est pas raccord. » « -
Je m’en fiche, peignez-moi tout ça en bleu ciel. Moteur ! ».
Pour son film sur les aventures de l’excentrique Don Quichotte,
Terry Gilliam avait invité deux réalisateurs de documentaire :
« Vous allez me produire un superbe doc, genre making-of,
de mon tournage. Je veux des témoins au cas où ça tournerait
mal. » Les Américains lui avaient tellement pourri
la vie lors de la sortie de Brazil en 1985 qu’il avait
décidé de se passer du talent d’Hollywood. « Je vais
le faire avec les gentils Européens mon film. »
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Terry Gilliam gueulait la
même chanson à toutes les réunions de préparation de tournage :
« On est en pré-production les mecs, je veux que ce
terme rentre bien profond dans vos têtes. Pas question qu’on
se plante pendant cette période. Les budgets deux fois dépassés,
c’est fini. Ce film ne va pas tourner comme Les aventures
du baron de Münchhausen en 1988, c’est moi qui vous le
dis. Je ne compte pas me faire entuber pas des putains de
notes de frais trop importantes. Je ne revendrai pas ma mère
pour rembourser cette fois. » Les producteurs de
Don Quichotte l’avaient à l’œil. « Ils ne comprennent
pas ces crétins qu’on ne fait pas un film avec que dalle comme
budget. Ils me donnent trente-deux millions de dollars, qu’est
ce que c’est que cette merde. Mon Don Quichotte est sensé
attaquer des moulins, ils n’ont pas lu le livre ou quoi ?
Je dois fabriquer des pantins gigantesques, je vais pas les
faire en papier mâché. » Tous des cons ces producteurs,
ils ne connaissent rien à l’art. Des chéquiers avec des pieds
et pas de tête !
Terry Gilliam avait bien du souci à se faire. Ses pantins
coûtaient une fortune, les acteurs se foutaient de lui en
loupant leurs avions. « Et Vanessa Paradis, pourquoi
elle n’est pas aux répétitions pour son rôle, demandait-il
à son assistant réalisateur, elle se prend pour une chanteuse
ou quoi ? » Non, rien ne se déroulait comme
sur les plans de travail, mais Terry voulait le faire son
film de dix ans. « Une décennie de réflexion, ça se
respecte. »
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Au lieu d’une grande épopée
chevaleresque, on était en train de filmer le Titanic. Cette
satanée baraque prenait l’eau de toute part. Le Cinéma se
mourrait, Terry en était convaincu. Il y avait des tempêtes
sur le lieu de tournage et des torrents de boue. Terry n’y
croyait pas : « Je ne savais pas que j’aurais
à tourner dans une rivière. Il y a quelque part un petit salopard
qui veut me voir manger de la boue. » Jean Rochefort
ne faisait pas le malin, il avait une double hernie discale.
Impossible de monter à cheval. Les chasseurs bombardiers de
l’O.T.A.N. venaient même le narguer jusqu’au-dessus du plateau.
Avec ce boucan, plus possible de comprendre l’anglais de Rochefort.
Et ça devenait tout à fait inéluctable. Presque un poème le
film de ce film. Ce dingue de Don Quichotte se battait contre
des géants et affrontait des moulins à vent. Terry continuait
désespérément à tenter de réaliser son film alors que les
acteurs s’enfuyaient et que les producteurs cherchaient à
lui bricoler un cercueil.
C’était un Don Quichotte ce Terry Gilliam. Il lui avait piqué
son costume.
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