S’il est une tendance lourde
qui, depuis le 19 avril 2002, avant-veille du cataclysme que
vous savez - rediffusion annoncée pour avril 2004, perdure,
c’est bien les vieux. Papy Oise agressé, violenté, cambriolé,
humilié, starisé puis médiatiquement relogé, et c’est tout
le pays, selon « Le Parisien-Aujourd’hui en France »
(un beau titre pour un éventuel tube épigone de Noir désir),
qui s’émeut, qui pousse des cris d’orfraie. Et qui, plutôt,
que de balayer devant sa si peu vertueuse porte, préfère mal
disserter sur un sujet hautement sociétal qui le dépasse et
dont il n’aurait certainement pas l’idée de sublimer. Mieux
vaut s’en tenir au fait, rien qu’au fait, coco, aboie-t-on
dans les écoles de journalisme reconnues par un État paternaliste,
au comble de l’exhortation souterraine, ainsi que dans de
nombreuses salles de rédaction occupées par des ersatz de
journalistes, des succédanés de chroniqueurs. On aboie des
soi-disantes vérités ; il est plus important, quintessentiel,
de s’appesantir sur le cas Lukas de la Star ac’. L’officiel
jeune apprenti chanteur métrosexuel, l’officieuse tâche obéissante
(appelons un chat un chat) va-t-il être exclu du château après
avoir écouté aux portes ? Ça mec, c’est du mastock. Pas
du Ronsard, non. De l’amère loque. On en est là. Les jeunes,
du moins l’image qu’ils renvoient, sont dans un vaste ensemble,
médiocres, prompts à lubrifier leur discours, inculqué par
quelques maoïstes résignés, de valeurs-volutes telles que
la tolérance. Qu’ils relisent Pasolini. Qu’ils tuent leur
père. Tous les pères, sans exception.
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Les vieux, ces jours-ci, bénéficient d’une
hype énorme. C’est bien simple : on les aime. La canicule
aoûtienne a achevé, ou entamé, de mettre de l’eau au moulin
de cette gérontologique thématique. Même l’hilarante Hilary
Chirac, la chanelisée rombière de l’escroc virtuel que vous
savez, s’est prise de compassion pour nos amis du troisième,
quatrième, cinquième…âge. On est bien loin du Modern age incarné
par les Strokes (le 20 octobre, au fait, va-t-il être le 11
septembre rock ou bien un Tien an Men vintage ?). Musicalement,
Iggy reforme les Stooges; Bowie, chirurgicalement esthétisé,
n’en finit plus d’enregistrer du disque à la chaîne (c’est
sans doute pour cela que ses derniers morceaux sont aussi
intéressants qu’une conférence sur le cinéma suisse animée
par Jean Douchet) ; Robert Wyatt, toujours aussi aqueux
et limpide continue de marcher sur les flots et on attend
un retour fracassé d’ACDC pour les Fêtes. Côté cinoche, on
n’a pas attendu la dévastatrice vague de chaleur pour récupérer
ou s’intéresser au phénomène. Même si, ici et là, quelques
épi-phénomènes viennent se greffer, opportunément ?,
à la sénile évidence. À preuve, la rumeur du monde vient de
nous conter les mésaventures de Georges Lopez, instit retraité
(avec quel argent ?) et popularisé par le docu-fiction
« Etre et avoir » de Nicolas Philibert. Le si doux
professeur des écoles, à la voix crèmeuse, au physique rudement
charpenté, attaque le réalisateur pour non respect de certains
devoirs. Quoiqu’on en pense (ici et personnellement, le plus
grand mal, impression de trahison), on ne peut nier que cette
figure charnière du ciné-réalité nous renvoie à nos manquements
de jeunes affadis, pulvérisés par la con-sommation des biens
et des idées. Vous avez dit résignation ?
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Georges Lopez, par son action, est une fois
de plus, mais pour de lucratives raisons, admirable. Telle
la myriade de vieux qui déferlent sur les écrans depuis quelques
mois. C’est l’extraordinaire Japon qui a, en début d’année,
ouvert le ban. L’histoire de ce jeune touriste tombant éperdument
amoureux d’une vieille mexicaine, jusqu’au dénuement intégral,
jusqu’à l’extase la plus brûlante, nous a cueilli à froid
lors de sa présentation à Cannes en mai 2002. Puis vint Va
et vient de Monteiro qui, au-delà de l’incandescente
leçon de cinéma que celui-ci impose, montre un vieillard qui,
bien que cynique, nous devient rapidement sympathique, tant
sa propension à dézinguer les jeunes apathiques est irrésistible.
La déculpabilisation du personnage nous parle, nous gueule
à la tronche, dans ce monde où fumer, donc renflouer les caisses
de l’État, s’apparente à un crime odieux. Je réclame la décence.
Quel bien penser de Monsieur Ibrahim qui abat les murs entre
Palestiniens et Israéliens ? Quels superlatifs irraisonnables
plaquer sur la charmante nonagénaire plantant des perfusions
de sages vérités dans les veines du mémorable Caja negra ?
On se torturera tout autant sur le cas de la grand-mère narrativement
névralgique de Depuis qu’Otar est parti. On en oubliera
des vieux héros aperçus récemment sur les toiles. Ce n’est
pas pour autant qu’on les enterrera au cimetière des indigents
du cinéma. On n’achève pas les vieux. Quand dans certains
cas, l’action semble les abandonner, laissant place au générique
de fin, il est des scénaristes, suffisamment respecteux ou
cupides, qui les ressuscitent. Cf Sean Connery dans La
Ligue des gentlemen extraordinaires, saine connerie que
les beaufs anti-américians adipeux ne manqueront pas de démonter
à coups de non-arguments. S’emballeront plus facilement, et
on l’espère judicieusement, sur Le Ken Park de Larry
Clark ou le Elephant de Gus van Sant, contrepoids mammouths
des titres évoqués ci-avant. C’est que là, on en tue du vieux,
mais dans le sens parental, dans l’acception la plus détestable
du terme. On en fusille de l’irresponsable. « Cinéma,
lieu du père à condition qu’il n’y soit pas »… sauf ridé.
Papy Oise et ses claques dans l’existence feraient finalement
un bon long-métrage. Ou un moyen.
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