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Joseph Jernigan aka number 699 aka
l’homme visible, né le 31/01/1954 aux USA à Kane County (Illinois),
est mort au pénitencier d’Huntsville (Texas) exécuté par injection
létale de chlorure de potassium le 05/08/1993. Son corps fut
congelé, scannérisé, puis découpé en tranches fines qui furent
toutes numérisées une par une. Les images numériques du corps
de Jernigan constituent depuis, un programme virtuel que la
National Library Of Medicine des USA met à disposition des
internautes sur la toile mondiale sous le nom de Visible
Human Project. Jernigan depuis, a été vu par des milliers
de personnes, étudiants en médecine ou non. Il est visualisé,
téléchargé, copié, redécoupé, collé, construit, déconstruit,
reconstruit. Il voyage à travers les tuyaux du réseau sous
forme de 0 et de 1.
Un jour sur l’écran d’une étudiante de Dijon, un autre dans
une galerie d’art de Tokyo. Il est simultanément partout et
nulle part. Sa matière est visible et sa visibilité totale
n’a pas de lieu. Jernigan n’est plus, et pourtant c’est toujours
Jernigan que l’étudiante de Dijon étudie, son traité d’anatomie
sur les genoux, et que Kimiko observe, amusée, à Tokyo. Jernigan
a un testicule en moins, eu des tendinites, avait peut-être
le vertige, s’est fait retirer l’appendice. Mais ce n’est
pas le testicule en moins de Jernigan qui intéresse l’étudiante
de Dijon. C’est que Jernigan soit là, toujours disponible,
à portée de regard, comme le cadavre immarcescible qu’il est
devenu, corps glorieux, corps transfiguré. Déjà Vesale en
1543 avec son De Humani Corporis Fabrica et ses 300
planches illustrées par Jean de Calcar, livrait au regard
baroque, le corps humain, béant et visible sous un soleil
copernicien immobile et lointain. Ce que la Fabrica
montrait, c’est le corps objectif, qui remonte de l’obscurité
des caves du Moyen-Age, pour affronter la lumière de la raison.
Mais chez Vesale, ce corps cherchant à livrer sa structure,
s’il se dépouille de ses fétiches animistes ou religieux,
c’est pour mieux s’identifier à une fiction universelle :
Vesale montre un corps commun, universel, raisonnable, un
corps-machine-univers.
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Le Visible Man Project répète
ce même rêve d’une anatomie rationnelle s’appuyant sur une
mise en image du corps. Il reste que la fiction héroïque qu’il
produit s’appuie sur un corps réel, historique. Ce n’est plus
une anatomie construite en partant de corps singuliers qui
à force de dissection et d’analogies forment un corps général ;
c’est une anatomie qui donne à voir, partout et toujours,
un véritable corps singulier, celui de Joseph Jernigan,
transfiguré en corps universel fictif. THE MALE BODY lit-on
sur les tranches de Jernigan. On peut y voir un exemple du
passage de la modernité à la post-modernité, qui approche
le réel par la fiction, ou la réalisation technique d’une
vieille théologie. Celle qui visait la transfiguration des
corps matériels en corps glorieux. Les nouvelles techniques
du visible réalisent la vision christique traversante :
la lumière ne se réfléchit plus, elle traverse les corps,
les maintient, les réalise. Miracle d’une vision qui enlève
aux choses leur dehors et leur dedans et veut l’infini du
point de vue total. Jernigan, premier homme informationnel,
n’existant que comme virtualité du visible, sans cesse recomposé
dans le réseau des corps percevants, porte en lui tous ses
aspects, toutes ses silhouettes. Il s’avance en disant Ecce
Homo / Joseph Jernigan, à la fois le corps idéal pour
l’étudiante de Dijon, et l’histoire singulière dont l’artiste
peut se soucier. Jernigan est vraiment de son époque…(les
premiers chercheurs qui eurent l’idée du Visible Man Project
le baptisèrent Adam. Dans la Kabbale juive, le premier homme
se nomme «adam de lumière »)
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