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Vies (c) D.R. VIES
d'Alain Cavalier
Par Bernard PAYEN


SYNOPSIS : Quatre de ces rencontres : il y a d’abord ce chirurgien qui opère ses dernières cataractes à l’Hôtel Dieu, il y a ensuite Jean-Louis, artiste bricoleur qui prépare une expo de ses sculptures insolites, et Michel, artisan boucher qui raconte sa vie de travail entre abattoirs et places de marché. Et enfin il y Françoise qui mène le cinéaste dans l’antre d’un mystérieux géant. Elle lui a consacré des années de sa vie pour des travaux qui n’aboutissaient jamais. Cet ogre colérique et capricieux est maintenant mort, il s’agissait d’Orson Welles.

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EN TOUTE INNOCENCE

Cavalier ou la poursuite du bonheur infini de filmer seul.

Cavalier est un gars modeste qui filme. Qui avance dans la vie comme il filme.

Sans embêter personne, sans que personne ne l'embête.

  Vies (c) D.R.

C'est la simplicité du geste qui touche infiniment. Geste qui le met à égalité avec la personne en face de lui. Amicalité d'artisans-sculpteurs en conversation, écoute attentive pour les monologues de ces êtres, boucher dont la vie se jongle en mots, femme invisible qui rencontra l'ogre cinéaste, chirurgien des yeux dont l'émotion du départ en retraite se lit dans la perle d'un regard mouillé.

Le spectateur d’un film d'Alain Cavalier doit se faire discret, il assiste à l'éclosion d'épiphanies. L'art naissant de la rencontre, sans cesse renouvelée. Avec un inconnu, avec des amis qu'on redécouvre à chaque fois qu'on les sent, avec un génie ressuscité fantôme par une voix féminine. L'intensité heureuse de la réunion intime des êtres se lit en plans-séquences généreux, où le cinéaste, tout en proposant son regard, se fait participant. Cavalier ne dissimule rien. Pas même l'instant ludique de commenter ses impulsions de mise en scène. Quand il demande à son interlocutrice de lui lacer ses chaussures, lorsqu'il cherche le bouton interrupteur de sa caméra, le cinéaste est aussi notre égal, notre compagnon de cinéma. Toute distance s'abolit, nous entrons en connivence, cet instant merveilleux où la parole est devenue vaine. Ou la relation s'établit, va de soi. Cavalier ou l'ami cinéaste. Celui avec qui on prend rendez-vous dans les salles de cinéma. A qui on s'adresserait presque en secret. Dans le noir, pour nous garder discret.

Vies (c) D.R.

La parole est à eux. L'image aussi. Yves le chirurgien ouvre le quintet. Il a rendu la vue à de nombreuses personnes par la précision gracieuse de son geste-scalpel. Il s'en va, mis à la retraite. Son ami a longuement filmé ces derniers instants de travail, derniers morceaux d'un pan de sa vie. En ouvrant son film par ces instants volés avec assentiment, Alain Cavalier fait preuve d'audace. Il prend le risque d'exclure le spectateur par amitié pour cet homme filmé. Et pourtant, inexplicablement, alors qu'on devrait s'ennuyer devant ses séquences chirurgicales répétitives, on comprend très vite qu'une vie est en train de se jouer sous nos yeux. Pas la vie des patients, dont on pressent très vite, malgré les plans impressionnants de leurs yeux opérés, qu'ils vont être guéris. Non, la vie d'un homme qui quitte un univers, des collègues, des anesthésiés anonymes recouverts de draps qui ne savaient quoi faire pour le remercier de leur avoir changé la vie. Rien ne sera plus pareil pour lui, et Cavalier nous invite à partager ce moment décisif qu'il transforme autant en preuve d'amitié qu'en moment de cinéma.