SYNOPSIS :
Paris, mars 1942. La Continental, firme cinématographique
allemande dirigée par le docteur Greven, produisant des
films français depuis 1940, ressemble au piège
dans lequel le pays est déjà tombé : peut-on
y travailler comme si de rien était, "entre les
dents du loup, là où il ne peut pas vous mordre",
ou doit-on refuser de collaborer et partir ?
Tissé de leurs souvenirs, le film retrace la trajectoire
de deux hommes dont les destins se croisent. Le premier Jean-Devaivre,
assistant metteur en scène, va entrer par calcul à
la Continental, y voyant le moyen de camoufler ses activités
clandestines de résistant. C'est un homme d'action, inconscient,
impulsif et audacieux. L'autre, Jean Aurenche, scénariste-poète,
s'évertue à refuser toutes les propositions de
travail venant des Allemands. Homme contenu, insatiable, curieux,
partagé entre ses trois maîtresses, il est avant
tout un témoin qui commence à résister
quand il prend sa plume et écrit. |
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CHRONIQUES DE LA REVOLTE ORDINAIRE
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Il y a une chose qui démange Tavernier.
Cette chose est quasi maladive à vrai dire : l'envie
de raconter, de se faire passeur en fondant l'anecdotique
et le vécu dans un discours qui veut accrocher l'oreille
et l'il avec de vieilles destinées, de vieilles
uvres, et quelques vieux cauchemars. Tavernier a voulu
encore discourir sur l'histoire en nous exposant le monde
de ceux qui ont fait la production cinématographique
en France dans la zone occupée durant la seconde guerre
mondiale.
La production cinématographique de l'époque
étant sous contrôle des nazis, les cinéastes
et les auteurs français ont dû prendre position
dans ce conflit idéologique. L'imaginaire de ces cinéastes
étant clandestinement nourris par un quotidien difficile
(rationnement, censure, emprisonnement, bombardements de la
RAF), il importait depuis longtemps à Tavernier d'écrire
les petites histoires du grand écran de l'occupation,
indissociables d'un contexte historique exceptionnel et complexe
qui ne souffre pas les jugements simplistes et manichéens.
En effet, dès 1941, dans la zone occupée, la
Continental Films (firme à capitaux allemands) est
créée par le Dr Greven et placée sous
le contrôle des autorités nazies afin de permettre
la production de films de facture française dans lesquels
la propagande du Reich pourrait pleinement s'exprimer.
Dès lors, les réactions dans la profession seront
diverses, mais une grande partie des cinéastes et des
auteurs français décidera de travailler pour
la Continental, qui offrait alors plus de capitaux, mais aussi
plus de liberté que les firmes de la zone dite libre.
Toutes les formes de collaborations apportées par des
artistes français à la Continental étaient-elles
condamnables ?
Tavernier élabore une tentative de réponse nuancée,
en privilégiant le point de vue de ces réalisateurs
et scénaristes controversés.
La matière première de Tavernier pour lui permettre
de tisser un récit autour de cette période,
vient des témoignages et des confidences des scénaristes
Jean Aurenche et Pierre Bost, du réalisateur Jean Devaivre
ou encore du scénariste Jean Cosmos (lui-même
co-scénariste de Laissez-passer).
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C'est principalement à travers le
regard de deux hommes, deux personnages aussi différents
que complémentaires, qui incarnent deux formes de résistances
apparemment différentes, que Tavernier tente de dresser
le tableau d'un cinéma français de l'occupation.
L'un, Jean Devaivre (Jacques Gamblin) est un assistant réalisateur
qui officie à contrecur à la Continental
pour gagner sa vie et mieux camoufler ses activités
de résistant.
L'autre, Jean Aurenche (Denis Podalydès) est un scénariste,
un homme de principes qui exprime sa révolte en refusant
au maximum de travailler pour la Continental, lui préférant
d'autres employeurs tels que Roger Richebé. Ces personnages
sont deux figures antinomiques : celle du faiseur et
celle du créatif. Devaivre est un père de famille
respectable et un professionnel reconnu. Aurenche est un mondain,
un coureur de jupons sentimental à la vie dissolue
ainsi qu'un intellectuel très sollicité
Cependant, même si les deux personnages n'entretiennent
aucun rapport dans le film, leurs deux mondes ne cessent de
se croiser et de s'entremêler, avec en toile de fond
l'omniprésence de la guerre, les bombes, la terreur
antisémite et la répression violente et systématique
pratiquée par l'occupant.
Tavernier n'hésite pas à digresser en prenant
en charge un réalisme et une distance matinée
d'un humour décalé, sans oublier pour autant
de capter des regards qui en disent long sur le tragique des
situations.
Malgré le caractère toujours classique de la
mise en scène, c'est dans ces digressions que l'on
voit poindre la partie la plus intéressante du propos
du cinéaste. Par exemple, lorsqu'un commissaire de
police, qui arbore la panoplie du commissaire Maigret, affirme
à Devaivre qu'il est le modèle à partir
duquel Simenon a créé son plus célèbre
personnage. Devaivre se retourne alors vers un collègue,
qui affirme que la moitié des fonctionnaires de police
se considère comme des " Maigret "
originaux.
On comprend à quel point les artisans de l'imaginaire
qu'étaient les auteurs et les cinéastes s'avérèrent
indispensables en ces temps difficiles où le quidam
venait chercher dans les salles obscures la dose d'images
et d'évasion (voir une forme de schizophrénie)
qui l'aiderait à tenir face à la gravité
du réel. La production cinématographique se
présente donc comme un lieu essentiel de la lutte.
Aux prises avec les passions de l'occupant allemand, les artistes
ont droit à des traitements extrêmes. Tantôt
mis sur un piédestal, tantôt " embastillés " :
leur pouvoir et leur savoir-faire ne sont en tout cas jamais
sous-estimés.
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