SYNOPSIS:
Mecha, une femme de 50 ans, mère de quatre enfants
et épouse d'un homme qui se teint les cheveux, passe
l'été à La Mandrágora à
90 km de la ville de La Ciénaga en Argentine. Tali,
sa cousine, a aussi quatre enfants et un mari. Deux accidents
réuniront ces familles dans le champs, où elles
essaieront de survivre à un été infernal.
Tous n'y parviendront pas.
Ambiance moite, bruits discontinus
et portes qui claquent : La Ciénaga fait
mal aux tympans et déplie son programme en parade
(des lieux, des corps) cacophonique. Au milieu du film,
Mecha, vieille pie aigrie, déambule dans la maison,
le téléphone sonne et re-sonne sans fin :
" c'est toujours pareil " répète-t-elle
d'un ton désabusé. La Ciénaga,
c'est toujours pareil : des plaintes, des corps traînants
et apathiques, qui ne se répondent plus et laissent
émettre les signaux d'un chaos tout proche d'eux
mais sans appel. Ras-le-bol des ambiances fin du monde,
des Chansons sinistroses de Ken Andersson aux redites lacrymales
du névrosé Magnolia (le chantre du
microcosme dépressif), dans une même conscience
du séisme, état des lieux anthropologique
pour une tendance du glauque, chaotique et routinier.
La redite, les phénomènes
cycliques qui heurtent les hommes au rythme sourd des chaleurs
constituent la roue libre du film : le corps n'est
plus envisagé comme une entité malade mais
comme le chaînon d'une catastrophe naturelle, le délabrement
des corps se confondant avec le pourrissement des lieux
autour d'un marécage. Il fait très chaud,
les corps sont affalés en bordure de piscine, ou
au creux des lits poisseux. Vache engluée dans la
boue, verres qui gigotent tout seuls : l'orage tropical
arrive. Une prévision temporelle bien trop visible,
comme les zones d'ombre qui cachent un ciel colérique.
Le dégât des eaux renvoie aux dégâts
du film : les clichés de famille pleuvent dans
cette pose du cataclysme, comme autant d'instantanés
ralentis du chaos.
Mais La Ciénaga est moins
un film cosmologique de plus qu'un continuum névrotique :
ici, la pluie tombe quand les corps remuent l'air. La communauté
s'enlise, mais avant d'être ensevelie, se rattache
aux vestiges illusoires d'une dernière foi, dans
l'apparition rituelle de la Vierge Marie dans les parages.
Il s'agit moins d'une fin de la croyance (religieuse) que
de la croyance d'une fin (du monde). Dans les deux cas,
l'hystérie les gouverne secrètement, déclinant
cette croyance vers une forme bâtarde, faussement
nihiliste. Spectre horizontal, enfouie sous terre, elle
cimente les corps (une fille se jette à l'eau, sans
en revenir) et les éléments (la boue alentour,
jusqu'aux poissons pourris).
Le corps humain est montré dans
des états limite qui voudraient l'extraire d'une spirale
réflexive des êtres maltraités. Chaque
membre de la famille devient le lieu d'une emprise du temps,
d'une saignée : il poché,
peaux écorchés et autres déchirures des
corps comme punition, ultime miroir déformant de l'ennui
et réceptacle d'une déferlante des éléments.
La figure du corps atrophié n'étonne guère,
à mesure qu'elle entreprend un body-snatching
du grand au petit-frère, de la maison-mère aux
vilains rejetons. L'accident devient filon d'un film-programme
devenu autophage. Banalité du mal, transmission d'un
unique fléau : La Ciénaga se noie
dans un didactisme malsain. Denrée rare, le corps humain,
produit d'un étrange et néfaste clonage, s'efface
progressivement et disparaît dans la rafale.
Titre : La
Ciénaga Réalisation
: Lucrecia Martel Acteurs
: Graciela Borges, Mercedes Moran, Juan Cruz Bordeu,
Martin Adjemian. Scénario
: Lucrecia Martel. Image
: Hugo Colace (ADF). Son
: Hervé Guyader, Guido Beremblum, Adrian
de Michele. Montage
: Santiago Ricci. Mixage
: Emmanuel Croset. Décors
: Cristina Nigro. Direction artistique
: Graciela Oderigo. Chef de production
: Marta Praga. Production
: Lita Stantic, Cuatro Cabezas Films S.A. Co-production :
José Maria Morales (Espagne), TS Productions
(France). Distribution
: Ad Vitam. Festival
: Festival Film de Berlin 2001 (Prix Alfred Bauer
du Meilleur premier film), Rencontres Cinéma
d'Amérique Latine, Toulouse 2001 (Grand
Prix, Coup de coeur, Prix découverte de
la critique), Festival de Sundance 1999 (Prix
du meilleur scénario). Durée
: 102 mn Sortie
: France 09 janvier 2002