DIGERER LES HUMAINS
La fronde comique
de Bill Plympton avait tardivement atteint la France, nous
proposant ses dernières réalisations dans
le désordre. Le succès d'estime de L'impitoyable
lune de miel y avait entraîné la distribution
de Mondo Plympton, pourtant son prédécesseur
dans l'ordre de création. Si sa filmographie antérieure
ne devrait jamais franchir l'Atlantique, Plympton semble
désormais avoir trouvé en France un public
friand de ses pantins animés à l'humour ironico-régressif
et une distribution à la hauteur de son talent.
Shrek, déviance consensuelle,
s'attaquait plus au concurrent " disneyen "
qu'à l'idéologie fasciste, seconde cible peu
égratignée. Il fait dès lors office de
bluette romantique aux yeux de celui qui savoure le pamphlet
que s'avère être Les Mutants de l'espace.
Portrait au vitriol de l'homme moderne qui forge lui-même
les lames de son péril, la fable animée de Plympton
enchâsse dans un scénario délirant les
trajectoires inquiétantes de la science, de la politique
et de la communication, mais saborde joyeusement le sérieux
de son propos en créant un véritable bestiaire
du graveleux et de la tare.
Un astronaute piégé par son chef de mission
se retrouve prisonnier de sa capsule spatiale. Vingt ans plus
tard, il revient sur Terre pour se venger, à la tête
d'une horde d'animaux mutants, fruit d'un gang bang zoophile
en orbite. Un cochon au groin érectile y côtoie
un glouton capable d'avaler, digérer, et évacuer
instantanément une proie dix fois plus grosse que lui...
Littéralement fils de l'homme et de la science, ces
mutants de l'espace métaphorisent ludiquement la dérive
du réel, les tares de la normalité.
Le trait simpliste du dessin accentue la satire et aiguille
le récit vers la parodie. Réclamant l'adhésion
du spectateur, l'auteur ne cesse de le séduire à
grands renforts d'illades complices. Les intertextualités
fusent alors : Men in Black, 2001 ou Docteur
Folamour sont cités, implicitement ou explicitement,
honorablement ou sans respect. Cet appétit mimétique
et déconstructif, comme l'amour du rire scabreux, jettent
un pont entre Plympton et les productions du trio Zucker-Abrahams-Zucker
(la série des Y a-t-il...?), partageant inévitablement
les mêmes défauts de construction.
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Désintéressé
de son scénario prétexte, Les Mutants de
l'espace déroule une guirlande de diapositives
héritée du film à sketches, cellules
autonomes où s'épanche le délire d'inventivité
du dessinateur, sans souci de cohérence ou de justification.
Emblématiquement, le tiers du film est un récit
en flash-back (l'aventure de l'astronaute au pays des peuple-nez,
sa romance avec la reine et leur guerre contre le peuple-oeil
qui chevauche des montures-doigts !) qui revendique après-coup
son caractère intégralement mensonger. Mais,
à la différence des fantaisies ZAZ, la bouffonnerie
sert ici la férocité. Humain ou pas, chaque
personnage est un " freak " monomaniaque, quelle
que soit lobsession qui l'anime : vengeresse, cupide
ou lubrique. Le Dr Frubar, garant du mal, est peut-être
le personnage le moins déviant, car il s'inscrit
parfaitement dans le moule de sa société.
À l'opposé, la gentille mais très agressive
horde parriphage, gobant avec application les hauts responsables
de son existence, souligne avec bonheur sa marginalité
positive. Le constat, forcément manichéen,
est assez habile pour ne dévoiler son néo-consensus
que dans sa très enlevée dernière partie.
Plympton esquive ainsi le piège de la morale didactique
et rend plus efficace la prise de conscience, dissimulant
en sous-jacence de son bourbier humain la nature viscérale
de ceux qu'il digère.
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Titre : Les
mutants de l'espace
Titre Anglais : Mutant
Aliens
Réalisateur :
Bill Plympton
Scénario : Bill
Plympton
Musique : Hank Bones,
Maureen McElheron
Production : Bill Plympton
Distributeur : E.D.
Distribution
Durée : 1h 23
mn
Pays : Etats-Unis
Année : 2001
Sortie
France : 09
janvier 2002
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