LE REVELATEUR
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Sorti sur les écrans le 19
décembre dernier, Sauvage innocence, bien
qu'il pâtisse d'une sortie pour le moins confidentielle,
connaît un certain succès auprès du
public. Ayant précédemment recueilli d'élogieuses
et dithyrambiques critiques, les médias qui célébrèrent
et adulèrent le dernier cinéaste de la sublimation
participent de son retour sur le devant de la scène.
Démiurge, refusant la société des monstres
et des adultes sans passion, Philippe Garrel n'en est certes
pas à son premier coup d'essai, mais Sauvage innocence
sonne l'heure des retrouvailles avec un cinéma romanesque
et inspiré. La ressortie aux éditions RE-VOIR
du Révélateur, permet s'il en était
encore besoin de légitimer la place de gourou spirituel
(notamment pour Carax
) qu'occupe Garrel dans le cinéma
français. Cette ressortie répond à
une double exigence : faire la lumière sur les
films ZANZIBAR, courant méconnu du cinéma
français ; revisiter l'intarissable filmographie
d'un de ces acteurs charismatiques. Réalisé
un an après son premier long-métrage, le très
contesté Marie Pour Mémoire, (uvre qui
lui permit d'échapper au service militaire, recevant
le prix d'Hyères sous les sifflets du public.), Le
Révélateur, premier film muet annonciateur
d'une longue série s'avère en tout point un
chef d'uvre atypique. Le contexte politique de l'époque
(Mai 1968) influe considérablement sur sa réalisation.
Garrel, parti sur les traces de Daniel
Cohn Bendit exilé en Allemagne, est en effet bien résolu
à se confronter aux autorités allemandes et
filme, sans autorisation aucune, dans la Forêt-Noire.
Cette tension, palpable dans les moindres parcelles de la
pellicule, délivre un courant dangereux et soumet Le
Révélateur à des pressions extraordinaires.
Pressé par le temps et les policiers postés
sur place, Garrel, en à peine une semaine, livre un
film incandescent, aux fulgurants mouvements de caméras
qui, dans leur fluidité, leur errance, développent
une imagerie poétique, un onirisme puisé dans
le théâtre et la peinture. L'histoire est mince,
le canevas, libre aux plus extravagantes interprétations
psychanalytiques, le récit circulaire, laissant l'esthétisme
seul maître à bord.
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Le révélateur en question :
Stanislas Robiolles, mutin seulement âgé de
4 ans, sème la discorde dans le couple de ses parents,
intente à leurs jours. En fuite, la trinité
avance au gré de paysages sombres et désolés,
s'enfonce dans un psychodrame emprunt d'une rare et étonnante
légèreté, loin évidemment, des
longues logorrhées soixante-huitardes, verbiages
sans intérêt pour le jeune et alors silencieux
Garrel. Les acteurs fournissent une prestation de haut vol,
inspirant stupeur et tremblement. Pantins désincarnés,
ils offrent une fable Nietzschéenne à la mesure
des obsessions garrelliennes. À égalité
avec le décor qui les entoure et la lumière
qui les immerge dans un océan noir et blanc, leurs
corps, soumis à rudes épreuves, soulignent
l'oppressant climat du tournage, sans jamais tomber dans
la pose, et trouvent une expansion toute naturelle dans
des cadres et un espace-temps indéterminés.
Éloge du langage basique,
Le Révélateur et les routes sinueuses qu'il
emprunte confinent le spectateur dans un univers intemporel,
symbolique et en proie à l'autodestruction. Oscillant
entre vie et mort, Le Révélateur, film
clinique à la plastique sans âge et aux pouls
négatifs livre un combat contre le froid, la misère,
l'injustice que subit l'artiste. Mais ce n'est que dans ce
désespoir, cette insalubrité chronique que Garrel
puise sa matière filmique, et en ce sens, la précarité
du matériel utilisée répond parfaitement
à la permanente improvisation des acteurs funambules
et aux impératifs consentis par Garrel lui-même.
La lumière, par exemple, force de frappe animée
par le mésestimé et génial Michel Fournier,
à qui l'on doit entre autres les fameux éclairages
à la lampe de poche de Marie pour Mémoire
jusqu'à Athanor, nimbe les corps, reliquat d'un
culte passé et dissout littéralement la pellicule.
Qu'elle surgisse d'une porte ou d'un tunnel, la lumière
procède de la pure apparition divine, Garrel s'employant
à utiliser toutes les soi-disant failles de la technique
à la faveur d'un noir et blanc très contrasté
et de mouvements de caméras sur-signifiants (la récurrence
de travellings latéraux qui passent pour des travellings
circulaires comme dans Marie pour Mémoire
).
Les plans suintent une poésie désespérée
entre sous et sur exposition marquant l'alternance champ-hors
champs, jour-nuit, éveil-sommeil, sous la menace d'une
constante disparition. Un arrêt brutal du tournage,
une crise nerveuse. Une réciprocité des rapports
et un mimétisme troublant. Garrel n'hésite pas
à se lancer dans des exercices théâtraux,
ici, d'une certaine lourdeur.
Cependant, ils participent au savant
jeu de dupes instauré entre Stanislas et ses parents.
Les scènes, continuités d'un sketch, projections
d'un conflit ancré au fin fond de la chair, composent
un aller-retour entre futur hypothétique dont on connaît
déjà l'issue ( " Je sais. C'est
pas fini. Mais à quoi bon attendre la fin de la comédie
quand on connaît déjà le gag final ? "
dira-t-il.), et un passé, motif à controverse.
L'enfant déclencheur de la crise pris comme médium
de communication désaccorde l'harmonie parentale :
le couple ne peut s'unir qu'à mesure qu'il perd son
révélateur. L'enfant tue, se libère.
Dans cette négation de leur personnalité au
profit d'une cohésion parentale - sclérose des
temps modernes - travellings et panoramiques renvoient l'autorité
parentale au placard, et laisse l'enfant tyran seul maître
de la traversée, et sans doute ultime sujet du cinéaste.
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Titre : Le
Révélateur
Réalisation :
Philippe Garrel.
Interprétes :
Bernadette Lafont, Laurent Terzieff, Stanislas
Robiolles
Financement : Anne Héliat
et Sylvina Boissonnas.
Pays : France
Type : Documentaire
35mm
Durée : 62 min
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