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Atanarjuat, la légende de l'homme rapide (c) D.R. ATANARJUAT,
LA LEGENDE DE
L'HOMME RAPIDE

de Zacharias Kunuk
Par Nicolas CHEMIN


SYNOPSIS : Un mystérieux chaman vient perturber une petite communauté d'inuit en causant une rivalité entre deux familles. Vingt ans plus tard deux frères courageux mettent au défi les forces du mal : Amaqjuaq, le Fort, et Atanarjuat, le Rapide Coureur. Atanarjuat gagne le cœur de la belle Atuat au détriment du vaniteux Oki, le fils du chef, qui jure de se venger. Il organise un complot pour assassiner les deux frères durant leur sommeil

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L'ŒIL SCHIZOPHRENE

  Atanarjuat, la légende de l'homme rapide (c) D.R.

Premier film inuit de l'Histoire du septième art, Atanarjuat, la légende de l'homme rapide fera date autant pour son statut pionnier que pour sa valeur intrinsèque. En revendiquant son identité, il invalide toute posture documentaire et s'inscrit aux antipodes de Nanouk. Robert Flaherty posait, en 1920, un regard occidental foncièrement ethnologique sur le mode de vie des esquimaux. Le caractère informatif de l'œuvre naissait d'un objectif didactique, d'un œil intéressé. Quatre-vingts années auront été nécessaires pour qu'un projet porté, développé et conçu par des autochtones ne voit le jour dans le Grand Nord canadien. Un projet qui refuse de laisser voir et décide de montrer.

C'est donc dans le mortier de la fiction que sont scellées les bases d'Atanarjuat, mais une fiction mettant en scène la sève d'une communauté. Le mal y règne depuis plus de vingt ans, vampirisant un à un les représentants mâles d'une lignée. Oki, vantard insupportable et violent est de ceux-là. Ses cousins, et parmi eux Atanarjuat, sont garants du bien. Mais lorsque ce dernier gagne, à la force du poing, la main d'Atuat qu'il convoitait, Oki jure de se venger. Sa vile promesse défiera le temps. En faisant naître, vivre puis mourir son récit au sein d'une identité culturelle, Zacharias Kunuk ne peut esquiver son folklore. La vie de clan, les traditions chamaniques et autres coutumes de chasse y sont abordées sans insistance ni déconstruction, car inhérentes au savoir de l'énonciation. Si le film n'épouse jamais une trajectoire documentarisante, notre réception lui imprime en revanche un sceau de découverte que son caractère inédit amplifie. Le quotidien des personnages, si éloigné du nôtre qu'il interpelle sans être décrit avec précision paraît naturellement écartelé entre valeurs universelles et héritage occulte. Ce décollement est avant tout dû au traitement de l'œuvre, qui raconte une légende sans établir de pacte de lecture. Les oripeaux animistes n'y sont jamais livrés au merveilleux... Un regard sans surplomb dans lequel le film s'incarne.

Atanarjuat, la légende de l'homme rapide (c) D.R.

L'existence filmique du peuple inuit donne lieu à une aberration temporelle. Cette intrusion de la modernité dans un espace résolument attaché à son évolution propre, en marge et naturante, distille une figure de l'écart qui metaphorise sa position ontologiquement biaisée. Kunuk multiplie ainsi les fragments anachroniques : on se dispute l'acquisition d'une femme lors d'un rite barbare, duel à coups de poings, mais l'adultère se révèle être un tracas universel. De même, les parades amoureuses sont singulièrement médiévales, mais le langage sexuel est un délicieux espéranto. Les corps sont, dehors, désexualisés par d'épaisses peaux de bêtes qui effacent toutes formes, seules à même de protéger du froid intense qui règne sur la banquise. Mais les peaux nues et les positions ne nous sont pas inconnues, pas plus que les cris de jouissance ne nécessitent de sous-titrage.

C'est un regard externe qui suscite et impose ces instances de décollement, moins contenues par le cœur de l'œuvre que par sa périphérie. L'essence du film, lui, se recueille dans le creuset du mythe. Son scénario, adapté d'un conte oral millénaire, a valeur morale. Privilégier l'intérêt du groupe aux désirs personnels semble être la leçon dispensée aux personnages de ce récit initiatique. Sur le mode allégorique de tout enseignement sacré, Kunuk illustre 2h40 durant un destin exemplaire mais encore un portrait de groupe, sensément empreint de manichéisme. Les dialectiques (bien-mal, épreuve-épanouissement...) s'habillent pourtant de détails plus opaques et moins sclérosés, sombres entités circulantes. La généalogie incarne cette incessante transmission : malédictions, statuts sociaux ou colliers ancestraux voyagent de main en main et d'une génération à l'autre. Bientôt, les identités épousent le même chemin au gré d'une étrange croyance en la réincarnation familiale : une grand-mère y voit son père défunt investir le corps de son petit-fils. De sorte que tout communique et, finalement, communie. Les saisons se succèdent et avec elles le mode de vie de ces nomades. Lorsque la lumière renaît, la neige disparaît et les igloos deviennent des tentes, les caribous des poissons. Symbiose entre hommes et éléments.

  Atanarjuat, la légende de l'homme rapide (c) D.R.

Cette peinture esquimaude cultive finalement le paradoxe. Réclamant une vision exclusivement narrative puis offrant innocemment une meute d'informations, elle se pare d'un grain de pellicule à vocation réalisante. Mais, bien que tourné en Bétacam numérique, Atanarjuat distancie sa valeur vériste par une incessante oscillation entre représentation et représenté : les jeux artificiels et parfois forcés des comédiens amateurs revendiquent le simulacre et rejoignent en ce sens le générique final où le champ s'élargit tant qu'il cadre bientôt la caméra. Énième décollement, élégamment mensonger (dédoublement de l'objectif) qui ponctue tel un emblème ce film schizophrène.




Atanarjuat
:
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Titre
: Atanarjuat, la légende de l'homme rapide
Titre original : Atanarjuat
Réalisateur : Zacharias Kunuk
Acteurs : Natar Ungalaaq , Sylvia Ivalu , Peter-Henry Arnatsiaq
Scénario : Paul Apak Angilirq
Photo : Norman Cohn
Musique : Chris Crilly
Distribution : Rezo Films
Sortie France : 13 février 2002
Durée : 2h 27 mn
Pays : Canada
Année : 2001