SYNOPSIS :
Amir Kobessov, cinéaste, marié, père d’un jeune garçon, apprend
par télégramme la maladie de sa mère. Il décide alors de prendre
la route pour s’en retourner au village de son enfance et ainsi
assister sa mère sur son lit de mort. Comme le Dante de La Divine
Comédie, Amir suit un chemin à la fois réel et imaginaire (non
pas à travers la forêt mais au milieu de la steppe kazakhe) ;
il effectue un voyage intérieur aussi bien qu’extérieur, jalonné
de rencontres réelles et de visions issues de son imagination
– souvenirs, fantasmes, rêveries, …– grâce auxquelles nous est
représenté à la fois un portrait d’homme tiraillé entre deux
âges, la vie intérieure d’un " homme d’images " et enfin la
situation d’un " auteur " kazakh. |
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IDENTIFICATION D'UN HOMME
ENFANT
Au volant de sa voiture,
le regard rivé sur la route qui se profile droite et
monotone jusqu’à l’horizon, Amir se remémore
son passé. Son attention se porte moins sur le paysage
qu’il traverse que sur les souvenirs qui le préoccupent
(à un long plan sur la route qui défile à
travers le pare-brise, succède un plan sur le rétroviseur
où se reflète le visage d’Amir et la voie est
ouverte aux images de la mémoire). À mi-chemin
de deux familles, ses souvenirs nous donnent à
voir une identité clivée. Ainsi d’une
situation délicate : sa femme le surprend avec
une assistante dans la pièce où il monte son
film ; non qu’il soit pris en flagrant délit d’adultère,
mais plutôt en plein retour d’âge, jouant
à nouer une ficelle entre ses mains et celles de son
assistante...
Homme
enfant, présence opaque et silencieuse, incapable de
réagir, de s’expliquer ou de s’amender, Amir est un
personnage aussi déroutant pour ses proches dans la
fiction que, dans la salle, pour le spectateur. On voudrait
s’émouvoir de son sort, s’irriter de ses enfantillages
ou rire de son immaturité, mais on ne le peut pas :
comment s’identifier à une figure aussi impassible,
distante, inachevée ? Omirbaev réserve
plutôt au spectateur, en lui donnant à voir les
fruits de l’introspection d’Amir, la tâche de parfaire
ce personnage et de reconstituer, fragment par fragment (souvenir
après souvenir), une vie revécue à travers
le filtre de la mémoire. Il n’est donc pas question
de s’identifier au personnage (postulat classique) mais, postulat
moderne, d’identifier le personnage et sa névrose,
ce qui est vite fait. Or, une fois le spectateur parvenu au
terme de sa propre route, celle qu’Amir doit parcourir est
encore longue ; aussi est-ce avec plus ou moins d’indifférence
qu’il assiste aux nouvelles manifestations de son impuissance
(la voiture qui s’embourbe, l’arrivée retardée
auprès de sa mère décédée
dans la nuit, …) et à la résolution finale
de sa névrose, pendant une visite à l’école
de son enfance.
IDENTIFICATION D'UN
HOMME D'IMAGES
La Route
ne se limite heureusement pas à un tel scénario
" analytique ", ni le voyage d’Amir dans
la steppe à la métaphore facile de l’introspection.
Enfant parmi les adultes, Amir, avant d’être un homme
parmi les hommes, est un cinéaste, habité
par les images : celles du souvenir certes, mais
aussi celles du rêve, de la rêverie, du fantasme
et jusqu’à celles, décisives, de l’imagination
créatrice.
Clivé, non plus entre
son passé et son présent, mais entre " sa "
réalité et celle des autres, Amir, volontairement
ou non, consciemment ou non, résout ce clivage à
sa façon. Ainsi de l’insoutenable vision de sa mère
morte, qui l’obligerait à faire le deuil de son enfance,
et à laquelle il préfère, comme on l’a
vu, substituer les images encore vivaces de son passé.
Ainsi également de la rêverie à laquelle
il s’abandonne, alors que la jeune serveuse de restaurant
à qui il a donné rendez-vous tarde à
venir le retrouver : la demoiselle lui a fait faux-bond,
mais qu’importe, puisque son fantasme supplée l’absence
de la belle ? Ainsi enfin de la scène de film
qu’Amir compose en esprit : (1) il imagine un
homme qui, tranquillement assis sur un banc au bord d’un canal,
et en train de lire le journal, se fait assassiner ;
(2) il observe, lors d’une halte au bord de la route,
un groupe d’hommes, séparés de lui par un cours
d’eau, jouer avec un ballon ; (3) il imagine alors
d’enrichir sa scène fictive en lui ajoutant un enfant
qui joue avec un ballon et qui, témoin du meurtre,
le laisse tomber et rebondir jusque sur l’eau du canal. Amir
plie donc à son gré ce monde qui lui résiste,
en le transformant en images.
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