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La Route (c) D.R. LA ROUTE
de Darejan Omirbaev
Par Jean-Baptiste LOUVET


SYNOPSIS : Amir Kobessov, cinéaste, marié, père d’un jeune garçon, apprend par télégramme la maladie de sa mère. Il décide alors de prendre la route pour s’en retourner au village de son enfance et ainsi assister sa mère sur son lit de mort. Comme le Dante de La Divine Comédie, Amir suit un chemin à la fois réel et imaginaire (non pas à travers la forêt mais au milieu de la steppe kazakhe) ; il effectue un voyage intérieur aussi bien qu’extérieur, jalonné de rencontres réelles et de visions issues de son imagination – souvenirs, fantasmes, rêveries, …– grâce auxquelles nous est représenté à la fois un portrait d’homme tiraillé entre deux âges, la vie intérieure d’un " homme d’images " et enfin la situation d’un " auteur " kazakh.

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IDENTIFICATION D'UN HOMME ENFANT

  La Route (c) D.R.

Au volant de sa voiture, le regard rivé sur la route qui se profile droite et monotone jusqu’à l’horizon, Amir se remémore son passé. Son attention se porte moins sur le paysage qu’il traverse que sur les souvenirs qui le préoccupent (à un long plan sur la route qui défile à travers le pare-brise, succède un plan sur le rétroviseur où se reflète le visage d’Amir et la voie est ouverte aux images de la mémoire). À mi-chemin de deux familles, ses souvenirs nous donnent à voir une identité clivée. Ainsi d’une situation délicate : sa femme le surprend avec une assistante dans la pièce où il monte son film ; non qu’il soit pris en flagrant délit d’adultère, mais plutôt en plein retour d’âge, jouant à nouer une ficelle entre ses mains et celles de son assistante...

Homme enfant, présence opaque et silencieuse, incapable de réagir, de s’expliquer ou de s’amender, Amir est un personnage aussi déroutant pour ses proches dans la fiction que, dans la salle, pour le spectateur. On voudrait s’émouvoir de son sort, s’irriter de ses enfantillages ou rire de son immaturité, mais on ne le peut pas : comment s’identifier à une figure aussi impassible, distante, inachevée ? Omirbaev réserve plutôt au spectateur, en lui donnant à voir les fruits de l’introspection d’Amir, la tâche de parfaire ce personnage et de reconstituer, fragment par fragment (souvenir après souvenir), une vie revécue à travers le filtre de la mémoire. Il n’est donc pas question de s’identifier au personnage (postulat classique) mais, postulat moderne, d’identifier le personnage et sa névrose, ce qui est vite fait. Or, une fois le spectateur parvenu au terme de sa propre route, celle qu’Amir doit parcourir est encore longue ; aussi est-ce avec plus ou moins d’indifférence qu’il assiste aux nouvelles manifestations de son impuissance (la voiture qui s’embourbe, l’arrivée retardée auprès de sa mère décédée dans la nuit, …) et à la résolution finale de sa névrose, pendant une visite à l’école de son enfance.

IDENTIFICATION D'UN HOMME D'IMAGES

La Route (c) D.R.

La Route ne se limite heureusement pas à un tel scénario " analytique ", ni le voyage d’Amir dans la steppe à la métaphore facile de l’introspection. Enfant parmi les adultes, Amir, avant d’être un homme parmi les hommes, est un cinéaste, habité par les images : celles du souvenir certes, mais aussi celles du rêve, de la rêverie, du fantasme et jusqu’à celles, décisives, de l’imagination créatrice.

Clivé, non plus entre son passé et son présent, mais entre " sa " réalité et celle des autres, Amir, volontairement ou non, consciemment ou non, résout ce clivage à sa façon. Ainsi de l’insoutenable vision de sa mère morte, qui l’obligerait à faire le deuil de son enfance, et à laquelle il préfère, comme on l’a vu, substituer les images encore vivaces de son passé. Ainsi également de la rêverie à laquelle il s’abandonne, alors que la jeune serveuse de restaurant à qui il a donné rendez-vous tarde à venir le retrouver : la demoiselle lui a fait faux-bond, mais qu’importe, puisque son fantasme supplée l’absence de la belle ? Ainsi enfin de la scène de film qu’Amir compose en esprit : (1) il imagine un homme qui, tranquillement assis sur un banc au bord d’un canal, et en train de lire le journal, se fait assassiner ; (2) il observe, lors d’une halte au bord de la route, un groupe d’hommes, séparés de lui par un cours d’eau, jouer avec un ballon ; (3) il imagine alors d’enrichir sa scène fictive en lui ajoutant un enfant qui joue avec un ballon et qui, témoin du meurtre, le laisse tomber et rebondir jusque sur l’eau du canal. Amir plie donc à son gré ce monde qui lui résiste, en le transformant en images.