ULTRA MODERNE SOLITUDE
Les feuilles craquent
sous les pas d’un homme qui se promène avec son chien
dans le bois de St Cloud. Cette apparente quiétude
est celle d’un futur président de la république
entre les deux tours de l’élection présidentielle.
L’œil qui le scrute est celui de Raymond Depardon.
Valéry Giscard d’Estaing
fut, rappelons-le, le plus jeune Président de la Vème
République, mais sa seule personne incarne aujourd’hui
une sorte de désuétude.
Il perd les rennes du pays
après un septennat allant de 1974 à 1981. Son
échec est cuisant, et même si sous Giscard la
condition féminine a considérablement évoluée,
son bilan semble contenu dans ces deux phrases qu’il adresse
au français :" il y a sept ans, vous
m’avez confié la France, la paix, la liberté,
les institutions. Je vous les rends intactes " .
Le comportement de Giscard,
sa préciosité tranchant avec sa propension à
se mettre en scène dans un but grossièrement
démagogique au cœur de son septennat, ont fini par
recouvrir son image médiatique d’une gangue peu ragoûtante,
qui n’a cessé de le desservir par la suite, le transformant
en cible de choix pour les humoristes et les caricaturistes
de tout poil.
Aussi, les images d’archives
du "président déchu" ne ressortent
du placard que pour faire les choux gras d’émissions
de divertissements du type Les enfants de la télé
d’Arthur…provoquant des réactions du genre " plus
ringard…tu meurs ! ".
Très loin des clichés expéditifs, il
existe un document qui pose un regard beaucoup plus profond
sur Valéry Giscard d’Estaing. En effet, en 1974, alors
candidat à l’élection présidentielle,
Giscard est animé par le désir de garder une
trace de sa campagne. Il demanda donc à Raymond Depardon
(à l’époque photographe de presse de grand renom)
de tourner un film sur lui. Giscard donne à Depardon
une grande liberté de tournage en le laissant graviter
autour des deux faces de l’iceberg. Mais il y a alors une
condition et non la moindre : le film est la propriété
de Giscard, il décidera donc de sa diffusion en temps
voulu.
Depardon réalise
son premier long-métrage (intitulé à
l’origine 50,81% ) dans ces conditions très
particulières. Une fois terminé, le film fut
rangé dans un placard par son commanditaire. Cette
décision entraîna une frustration certaine chez
son réalisateur. D’autant plus que Raymond Depardon
n’a cessé de considérer ce film comme une des
pièces maîtresses de son œuvre. La sortie en
salles (accompagné d'une diffusion sur Arte) du film
" maudit " fait voler en éclat
l’auréole de mystère qui le surplombait depuis
28 ans.
Tout d’abord, le film
montre la capacité du candidat Valéry Giscard
d’Estaing à accepter le principe de la caméra
omniprésente. Après tout, c’est lui l’initiateur
de cette expérience, même s’il est conscient
de la présence du dispositif de prise de vue (Depardon
pour l’image et Bertrand Ortion pour la prise de son), Giscard
joue carte sur table. On a la sensation que Depardon arrive
à se faire partiellement oublier par Giscard, même
si les coups d’œils de son directeur de campagne Michel Poniatowski
trahissent une légère hostilité envers
l’intrusion d’une caméra qui enregistre leurs conversations.
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