CRUELLE RANDONNEE
" Guinée,
Sénégal, Togo, tous des enfants du général
De Gaulle ! ". Ce slogan, lancé
non sans ironie par un passeur, ouvre le film comme pour réveiller
un lien fantomatique entre l’Afrique et l’Occident. Aussi
cette phrase vient souligner le dénominateur commun
de la plupart des voyageurs clandestins africains que nous
fait suivre Frontières, celui de la langue française.
Mais les traces de l’histoire
coloniale s’arrêtent ici, et c’est dans le présent
que Mostéfa Djadjam installe son film en voulant rendre
compte de " la dernière des grandes aventures
humaines ", celle de l’immigration clandestine.
Le regard du réalisateur
tient les clichés à distance en se posant sur
des clandestins qui ne sont ni des bannis, ni des réfugiés
politiques en fuite. L’espoir même d’une possible réussite
financière semble passer au second plan dans l’esprit
de ces personnages.
Ils veulent tout simplement
migrer vers un idéal, par soif de réponses,
par curiosité, ou par amour…
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L’esprit aventureux qui
les anime est très proche de celui qui poussait les
participants à une autre grande aventure humaine du
passé : celle des pionniers de l’Ouest Américain
au cours du XIXème siècle. On peut d’ailleurs
à bien des égards, envisager Frontières
comme une sorte de mutation du western où les personnage
partiraient des territoires vierges dans l’espoir d’intégrer
le vieux continent. D’autant plus que les clandestins de
Djadjam sont des modèles très typés:
il y a l’amoureux, le baroudeur, l’instituteur, la femme bafoué,
le mage…Ce qui n’est pas sans rappeler le dispositif " fordien "
de La chevauchée fantastique. Ce dispositif
facilite l’observation des comportements humains. Nous somme
donc invités à suivre des individus pris dans
une mécanique implacable, celle de la hausse des prix
pratiquée par les passeurs et d’une surenchère
de prises de risques, due à leurs position de clandestin.
Mostéfa Djadjam met sensiblement l’accent sur leur
marchandisation. Evitant l’écueil d’un misérabilisme
trop pesant, Djadjam trouve la voie d’une mise en scène
sobre et limpide qui manie avec aisance un mélange
d’éléments réalistes et abstraits, exploitant
les multiples aspects d’une poésie de l’errance. Par
moments, le passage de frontières peut revêtir
l’aspect d’une véritable discipline sportive, une sorte
de gymkhana demandant aux concurrents : résistance
physique, persévérance et stratégie.
Certains veulent entretenir l’esprit d’équipe, d’autres
la jouent "perso" pour contrer le caractère aléatoire
des règles du jeu.
Aussi, l’humour s’intègre
parfaitement dans le traitement de ce parcours initiatique,
où se dévoile le caractère protéiforme
de la nature humaine. Sipipi, le personnage de clandestin :
baroudeur remarquablement interprété par Lou
Dante (acteur non professionnel), va jusqu’à employer
ces termes pour décrire un état de fait : " les
temps changent…maintenant ce sont les esclaves qui paient
le transport ".
C’est un film où
l’on peut parfois rire de chose graves avec des personnages
sachant prendre une distance indispensable à leur survie.
Toutefois, la menace est
bien présente.
L’idée de mort jalonne
le parcours çà et là sous des aspects
souvent métaphoriques. Dans Frontières,
il y a souci d’efficacité dans la manière de
capter les regards qui en disent long sur une détresse.
Mais la ligne horizon semble
magnétique dans les espaces désertiques que
sillonnent ces aventuriers.
Et pour atteindre cette
ligne, ils savent que chaque jour devra être une victoire
de l’espoir contre la nature intrinsèquement douloureuse
et tragique de la réalité.
En dépit du jeu d’acteur
parfois imprécis et de quelques dialogues inégaux,
le mérite de Djadjam est d’arriver à peindre,
avec ce premier film, un périple aux multiples facettes
avec une évidente dextérité.
L’harmonie de l’ensemble
semble nous signifier que " l’aventure humaine "
s’est jouée des deux côtés de la caméra.
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Titre : Frontières
Réalisateur :
Mostéfa Djadjam
Scénario : Mostéfa
Djadjam, Agnès de Sacy
Avec : L. Dante,
C. Luambo, O. Lu Yenke, D. Koma
Chef opérateur :
Pascal Lagriffoul
Chef décorateur :
Yan Arlaud
Son : Pierre Lorrain
Montage : Pauline
Dairou
Musiques : René-Marc
Bini
Producteurs Délégués :
Aïssa Djabri, Farid Lahouassa et Manuel Munz
Production : Vertigo
Productions
Distribution : D' Vision
Sortie France : 13 mars
2002
Durée : 1h 45
mn
Pays : France
Année :
2001
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